« Attention à la deuxième vague : L’urgence de rétablir la continuité des soins à l’hôpital »

Tribune très intéressante dans laquelle lePr Patrick Pessaux, président de l’Association française de Chirurgie, analyse la situation de manière lucide (et donc non technocratique?) et appelle à anticiper l’après-crise sanitaire en rétablissant l’accès aux soins des patients chroniques ou non Covid-19, mais également en réorganisant l’hôpital.

Après l’organisation dans l’urgence de l’extension des lits de réanimation et de l’accueil des patients Covid-19+, il faut désormais anticiper l’Après et se projeter à quelques mois, pour prendre les bonnes décisions. Il y a urgence à rétablir l’accès aux actions diagnostiques et aux soins des patients non-Covid-19, sans méconnaître l’ampleur du défi. Face à la crise, les personnels ont su réorganiser l’hôpital et mobiliser l’ensemble des moyens, où qu’ils se trouvent. Solidarité et réactivité font partie des leçons à tirer… et des conditions d’une sortie réussie.

Deuxièmes vagues

Classiquement, lors d’épidémies, la « deuxième vague » correspond à l’apparition de nouveaux cas liés à la circulation des personnes à la faveur du dé-confinement. Mais n’oublions pas l’impact majeur sur l’hôpital de la ré-émergence des pathologies qui ont évolué dans l’ombre de Covid-19, lequel les a tenues à l’écart des structures de soins en raison du confinement et du désarmement des établissements de santé sur le versant des soins qualifiés de « non-urgents ».

La prolongation du confinement d’un mois décidée le 13 avril va sans doute différer encore (jusqu’à trois à six mois) les démarches diagnostiques de nombreuses affections, en raison de la difficulté d’accéder aux soins de second recours (plateaux techniques et consultations de spécialistes) mais aussi du renoncement aux soins et des inégalités sociales de santé. Ces phénomènes seront favorisés par un enchainement prévisible de trois phases au moment du dé-confinement : une phase de sidération post-crise, une augmentation brutale de la demande et un appauvrissement de l’offre pendant les mois d’été, avec des soignants exténués, particulièrement dans les régions les plus sollicitées.

La question essentielle à l’issue de cette longue période de suspension est celle d’une perte de chance, que nous ne pouvons nous résoudre à qualifier d’inévitable. Elle peut se définir par l’impossibilité d’atteindre un ou plusieurs des objectifs suivants : améliorer l’espérance et la qualité de vie, prendre en compte les souffrances physiques et morales, inciter le patient à avoir des comportements positifs pour sa santé, préserver son autonomie et diminuer l’impact médico-social, les pertes financières et les difficultés professionnelles.

Ces quelques mois vont impacter de nombreuses maladies chroniques connues comme le diabète ou l’asthme, qui se manifestent par des complications que l’on aurait voulu croire d’un autre âge. C’est aussi le cas de maladies dont le diagnostic et la prise en charge initiale vont être retardés, tels les cancers (digestifs, pulmonaires, gynécologiques…), mais aussi l’insuffisance cardiaque, l’insuffisance rénale, les maladies ostéo-articulaires chroniques, les apnées du sommeil ou les pathologies neuro-psychiatriques.

La phase de haut plateau d’activité actuelle pour les structures de réanimation ne signera donc pas la fin de la bataille sanitaire et la représentation ci-dessous de l’après covid-19, maintenant connue, impose à la fois une adaptation et une diversification de l’offre de soins.

Comment rétablir la continuité des soins ?

Pour préparer cette nouvelle étape, il faut prendre en compte différents paramètres :

  • l’échéance supposée de fin de crise ;
  • les listes d’attentes de patients liées à la paralysie du système de soins, qui progressent continuellement ;
  • des professionnels de santé usés physiquement et psychologiquement par cette séquence critique ;
  • une période estivale qui se rapproche et, avec elle, une activité forcément réduite, quelle que soit l’ampleur du « rattrapage » ; 
  • des réanimations et des salles de surveillance post-interventionnelles de presque tous les blocs soit transformées en « réas-covid »,  soit dépouillées de leurs matériels de réanimation, éparpillés à l’échelle régionale, dont la récupération va prendre plusieurs mois. Les malades restent en moyenne trois semaines en réanimation et les unités ne seront pas désarmées avant la fin de l’été au plus tôt ; 
  • un secteur public qui sera le dernier à se remettre en ordre de marche du fait de la prise en charge d’un nombre relativement plus important de malades et de la gestion de l’aval post-réanimation. 

Il faut dès lors réduire au maximum les listes d’attente de patients pour préparer la reprise des activités au sein des hôpitaux publics, en considérant que ceux-ci, contrairement à ce qu’ils pensent parfois, ne pourront pas absorber toutes les activités.  

Pour les chirurgies complexes ou très spécialisées nécessitant un plateau technique spécifique ou une hospitalisation post-opératoire en réanimation, il n’y a pas d’autre choix que de les repousser, ou bien de les adresser à d’autres centres nationaux dans une zone épidémique permettant encore une activité limitée. A chaque fois, la dimension éthique du soin doit être analysée de manière individualisée afin de limiter les risques de perte de chance pour le patient.

Beaucoup de chirurgies oncologiques peuvent être réalisées dans les nombreux établissements privés et publics ayant un agrément pour cette chirurgie. Ces établissements sont prêts à garantir une prise en charge des patients et à signer des conventions pour accueillir temporairement des opérateurs extérieurs. C’est dans ces mêmes établissements que la pression de la prise en charge de patients Covid-19 se relâchera en premier et ils seront ainsi plus à même de continuer à assurer une reprise d’une partie des activités chirurgicales.

Comment imaginer une reprise chirurgicale dans un CHU (lorsque celle-ci redeviendra possible) sans intégrer la notion d’offre de soins globale et de hiérarchisation ? Comment imaginer une réouverture progressive homogène pour chaque spécialité qui viendrait quémander son créneau opératoire ? En effet, pour certaines spécialités, l’offre de soins est limitée en dehors des centres spécialisés, comme en chirurgie pédiatrique, en chirurgie oncologique complexe, en chirurgie cardiaque, en neurochirurgie et en chirurgie de transplantation d’organe. Ne doit-on pas prioriser ces spécialités et même maximiser leurs créneaux opératoires, fût-ce au détriment d’autres ?  Ici l’équité doit être privilégiée.

Tirer les bonnes leçons de la crise

Commençons par redéfinir les missions de chacun. 

L’initiative des conventions évoquées plus haut est venue des praticiens eux-mêmes mais l’institution hospitalière doit prendre le relai : on ne peut pas demander aux soignants de conduire seuls le travail harassant que nécessite ce type de collaboration public-privé. Il faut en appeler à une décision politique forte de mise en commun des plateaux techniques non-covid-19, comme cela a été fait pour organiser l’accueil des patients infectés. Il faut un moratoire incluant les modalités assurantielles de prise en charge et la circulation des praticiens.

Pour faire cela, on voit bien qu’il faut aller vers une gouvernance de notre système hospitalier partagée et lisible. Cette planification de la stratégie sur plusieurs semaines de sortie de crise doit être élaborée en cassant les codes et en dépassant les pesanteurs habituelles, par un travail entre l’ensemble des soignants et les directions, sans rejouer les luttes de pouvoir classiques. La gestion réussie de cette crise à l’hôpital (pour le moment) nous montre bien qu’elles sont d’un autre âge.  La refondation profonde de notre système de soin ne peut plus être éludée ou remise aux calendes grecques. 

Enfin, en dehors des files actives connues de prise en charge chronique et spécialisée (transplantation, diabète, chimiothérapies, etc.), il faut prendre en compte la défiance, voire la peur, des gens vis-à-vis des établissements qui accueillent des patients Covid-19 ; beaucoup de patients ne veulent pas aujourd’hui – et ne voudront pas demain – aller se faire soigner ou opérer dans des établissements qu’ils jugeraient à risques. 

De fait, quelle que soit l’organisation – établissements, centres de santé, cabinets médicaux unipersonnels ou pluri-professionnels – les structures sont désertées en zone Covid-19 +  mais aussi en zone non-Covid-19. Le retour à la normale, dans des conditions d’exercice habituel, n’est pas prévu avant de longs mois, dans le public mais aussi dans le privé. A toutes les raisons évoquées plus haut, il faut ajouter les contraintes de la « distanciation sociale », qui vont naturellement peser sur l’activité. Les organisations vont en être grandement modifiées et le défi de la nécessaire coopération sera d’autant plus difficile à relever. D’où l’importance du dialogue entre professionnels quelles que soient les structures. D’où l’importance aussi de reprendre la question du statut du médecin, les évolutions professionnelles, les carrières, les partenariats.

L’hôpital allait « mal » avant cette crise et il ne faudra pas, dans les prochains mois, se focaliser uniquement sur les moyens (pas assez de lits de réanimation, pas assez de respirateurs, pas assez de…).  Les besoins de la prochaine crise sanitaire ne seront d’ailleurs pas nécessairement ceux révélés par la crise.

Ce qu’il faut, c’est arrêter de mettre l’hôpital face à des injonctions contradictoires : développer les activités les plus « rentables » et être à la fois centre de recours et d’excellence. Pour cela une meilleure répartition des activités, dont le besoin a été mis en évidence par la crise, est indispensable. Elle ne sera possible que par une redéfinition du rôle de chacun… cohérente avec les modalités d’allocation des ressources.

Au-delà de permettre à nos patients d’avoir une solution de prise en charge, c’est pour cela aussi que tous se sont « battus » depuis trois semaines : faire voir que c’est possible.

Patrick Pessaux, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Président de l’Association Française de Chirurgie

Source (version anglaise) : Dr. Victor Tseng, Université du Colorado

2 Commentaires

  1. Très intéressante analyse et le pire dans toute cette révolution sanitaire, c’est que nous ne pouvons pas reprendre nos activités chirurgicales non urgentes et non cancéreuses car on manque de drogues anesthésiques qui sont maintenant contingentées par le gouvernement, décidément, on aura manqué de tout (masques, sur-blouses, charlottes, sur-chaussures, SHA, respirateurs, médicaments etc) mais heureusement que le personnel soignant a assumé son rôle vital malgré la fatigue et les risques et a eu recours au système D très français comme en temps de guerre !
    Alors que nombre de pays d’Asie du Sud-est (soit-disant en voie de développement) ont bien assuré l’équipement des hôpitaux et des soignants et la gestion de la crise sanitaire avec 0 morts pour certains !
    Pauvre France !

  2. Après la fin de ce merdier, il faudra bien chercher certaines responsabilité sur cet échec majeur de la France a assumer la crise, dont celle de ce monsieur Salomon, à l’origine de la destruction du stock de masques en 2013 et qui tous les soir avec un air méprisant nous assène de chiffres qui n’ont aucun intérêt car loin d’être exhaustifs

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