par Par Sandy Bonin le 31-01-2018
Moyennant 29 euros par mois, les patients peuvent désormais s’offrir les services de généralistes, spécialistes ou professionnels paramédicaux, à volonté, tous les jours de la semaine et de 9h à 23h. Après avoir été expérimentée Outre-Manche, cette start-up de télémédecine propose
désormais ses services sécurisés dans l’Hexagone. Alexandre Maisonneuve, médecin généraliste et co-fondateur de Qare, nous explique sa philosophie.
Egora : Quels services propose Qare ?
Alexandre Maisonneuve : Qare propose différents services de télémédecine. Il y a principalement de la vidéo-consultation mais pas uniquement cela. Avant la vidéo-consultation, il y a un premier niveau de service auquel les patients ont accès librement et qui concerne de l’information pathologies et médicaments. Pour ces deux volets-là, nous travaillons notamment avec Vidal. Les patients ont également la possibilité de se créer un dossier médical. Nous leur fournissons un guide d’orientation pour qu’ils puissent s’y retrouver. Nous proposons aussi des articles rédigés par les médecins qui travaillent pour nous.
Il y a un deuxième niveau de télémédecine qui est donc la vidéo-consultation. Les patients peuvent avoir recours à ce service soit librement, si un praticien est disponible, ou alors sur rendez-vous. Nous proposons à la fois de la médecine générale mais aussi de la médecine spécialisée et également d’autres professions médicales et paramédicales (sages-femmes, dentistes, kinés, orthophonistes…). Nous avons une vingtaine de spécialités actuellement.
Enfin, le troisième niveau de service, dans la mesure où nous savons que nous ne pouvons pas répondre à tout en téléconsultation, c’est notre capacité d’accompagner le patient, en aval de la vidéo-consultation, et de lui trouver si besoin un rendez-vous rapide chez un généraliste, un spécialiste ou d’autres professionnels de santé.
Nous ne faisons pas d’urgences et ne sommes pas en concurrence avec le Samu ou les pompiers. Si un patient nous appelle par exemple parce qu’il a de la fièvre, nous pouvons proposer un traitement symptomatique et faire une sorte de contrat avec le patient sur un délai. Nous pouvons aussi avoir besoin de le faire examiner rapidement et dans ce cas-là, nous lui trouvons une solution.
Que voulez-vous dire en ce qui concerne le « contrat avec le patient sur un délai » ? Quand un médecin propose un traitement à un patient, ce dernier demande souvent au bout de combien de temps il va aller mieux . Il s’agit d’un accord avec le patient que l’on note sur le compte-rendu de la consultation où l’on se met d’accord sur un délai. Si un patient a mal à la gorge, on va lui prescrire du paracétamol et un collutoire et lui expliquer que dans 90% des cas, les antibiotiques ne sont pas nécessaires et qu’il y a cinq jours à partir du début des symptômes pour mettre, si besoin, ce traitement en route. On va privilégier une progression dans le traitement.
Si le patient rappelle cinq jours après en disant qu’il ne va pas mieux et qu’il souhaite des antibiotiques, que faites-vous ? On lui aura demandé de nous rappeler deux ou trois jours après, et s’il ne va pas mieux, nous serons capables de lui trouver un rendez-vous rapidement.
Vous faites donc surtout des prescriptions de médicaments disponibles en automédication… Non. Cela peut aller au-delà pour certaines prescriptions. Je suis justement en train de classer les prescriptions les plus et les moins fréquentes.
Que faites-vous dans le cas d’une otite ? Bon exemple. Si un patient explique qu’il a été à la piscine et que depuis trois ou quatre jours il a mal à l’oreille, dans ce cas-là, l’interrogatoire suffit. Je comprends alors qu’il s’agit d’une otite externe et je peux prescrire un antibiotique par voie auriculaire pour un traitement de trois ou quatre jours.
Votre plateforme propose les appels illimités vers un médecin disponible de 9h à 23h, 7 jours sur 7, ne craignez-vous pas d’engendrer une dérive vers une surconsommation de soins ? Ne risquez-vous pas d’avoir une multiplication d’appels pour presque rien ? Je suis médecin généraliste de formation, je fais de la médecine d’urgence depuis 15 ans et je constate que c’est très rare que les patients appellent pour rien. On peut considérer parfois en tant que médecins que ce n’était pas grand-chose mais c’est assez rare que les patients sollicitent un médecin pour rien. Quand on creuse l’interrogatoire, il y a souvent une bonne raison. Dans le processus de formation que l’on propose à nos médecins, on leur dit bien de ne pas faire de la médecine « one shot ». Il faut prendre le temps pendant la vidéo-consultation de creuser l’interrogatoire. On est disponibles pour fournir des réponses de qualité. On va essayer dans réorienter le patient sur son parcours de soins. On a aussi un certain nombre de patients qui nous appellent après avoir été chez le médecin et ne pas bien avoir compris ce qui leur a été expliqué.
Mais a-t-on vraiment besoin d’appels illimités et d’avoir un médecin disponible jusqu’à 23h ? Nous ne n’intervenons pas à la place des médecins traitants mais vraiment comme un service complémentaire. A terme, la télémédecine va entrer dans les cabinets médicaux. Nous proposons actuellement une solution souple pour que chaque praticien puisse l’utiliser ensuite. Sur 100% de l’activité des médecins, 90% sera une activité avec un patient en face et 10% sera une activité en télémédecine. Nous n’avons pas vocation à créer un service de télémédecine hors-sol, nous voulons créer un service qui soit capable de rentrer dans les cabinets médicaux. On ne va pas prendre les patients de qui que ce soit et leur proposer une prise en charge avec un autre médecin. Forcement, nous sommes au début de l’aventure donc ne pouvons pas encore prétendre à entrer dans tous les cabinets médicaux. Nous voulons vraiment que les praticiens s’approprient la technique que nous sommes en train de développer.
Vous ne répondez pas à la question de l’utilité du 9h-23h, 7 jours sur 7 en illimité ? Dans un récent rapport, la Cour des comptes a proposé que le conventionnement des médecins soit en partie lié à leurs horaires d’ouvertures. Les Sages estimaient qu’un cabinet ouvert de 9h à 19h, ça n’était pas assez. Nous proposons des choses qui peuvent paraître provocantes, mais qui sont en cours de discussion. Aujourd’hui, si un patient cherche à consulter à 20h pour éviter d’aller aux urgences, c’est très compliqué. Finalement, en dehors des urgences, il n’y a pas d’autre solution. L’intérêt est de pouvoir proposer un service pour un certain nombre de demandes qui ne trouvent pas de réponses adéquates, à des heures un peu élargies. Nous ne faisons pas de 24/24h. Une demande faite à 3h du matin est une demande plutôt urgente qui rentre dans un cadre précis. En revanche, le créneau 20h-23h est bien souvent un créneau de soirée où les patients ont besoin d’un conseil ou d’être rassurés. On ne veut pas créer un appel d’air. Nous savons que la critique peut être facile à ce niveau-là. Cela permet aussi aux médecins spécialistes de participer à la permanence de soins. C’est quelque chose qui n’était pas possible jusqu’à présent et qui rendu possible grâce à la télémédecine.
Combien de soignants participent à l’aventure ? Nous avons constitué pour le moment une équipe d’une cinquantaine de praticiens médicaux et non médicaux. Nous avons 30 médecins et 20 professionnels médicaux et paramédicaux. Nous avons en plus 30 soignants en formation en ce moment. Nous voyons d’ailleurs que l’intérêt grandit. Nous avons de plus en plus de candidatures spontanées.
Comment sont rémunérés les médecins, puisqu’on est en pleine négociation sur la télémédecine ? Les actes ne sont pas cotés actuellement, et ne peuvent pas être facturés par les praticiens. On a inventé un système qui puisse correspondre à tout le monde. Si on s’en tient à la situation actuelle, on devrait demander aux médecins de travailler gratuitement… Ce n’est pas possible ! Nous les rémunérons donc sur des heures de mise à disposition. C’est de la prestation de service. On les rémunère sur un tarif forfaitaire à l’heure. En fonction de la spécialité et du secteur d’exercice, certains vont considérer que ce n’est pas assez, que c’est sous-payé. Je l’ai déjà entendu.
Et que leur répondez-vous ? Je réponds que ce n’est que transitoire. Nous pratiquons ce tarif alors que les négociations ont lieu entre les médecins et l’assurance maladie. Bien évidemment, à terme, notre vision c’est de dire chaque médecin pourra facturer ses actes de vidéo-consultation directement.
Une fois que les négociations seront signées, comment gagnerez-vous votre vie ? Pour le moment, on propose un abonnement au patient. On peut très bien imaginer, quand les médecins pourront coter, un abonnement réglé par les médecins. On leur proposerait alors un abonnement pour avoir accès à nos services.
Qui fournit l’équipement nécessaire ? On a fait très simple. En fait, les médecins ont déjà quasiment ce qu’il faut. Il faut un ordinateur et une connexion. La seule chose qu’ils n’ont peut-être pas, c’est la webcam. Donc on leur fournit. Les praticiens fonctionnent obligatoirement en filaire pour éviter les variations de débit du Wifi. Donc s’il y a besoin, on peut leur fournir aussi. Et ensuite, un point important, c’est le cadre dans lequel le médecin pratique la télémédecine. Si c’est au cabinet, il est seul, porte fermée. Certains vont être intéressés de pouvoir travailler depuis chez eux, sur des horaires atypiques, et là il faut un bureau fermé, où ils sont seuls, pour respecter le secret professionnel et la déontologie. On est très clairs là-dessus.
Qare a déjà été lancé en Angleterre en avril, quels sont les retours ? On a commencé sur une phase pilote, ça nous a permis de faire la preuve de notre fonctionnement auprès de l’ARS Ile-de-France qui nous a donné l’agrément en août 2017. On s’est lancés en novembre en France. Les retours sont plutôt très bons. La vidéo-consultation est évaluée par le patient et le praticien à chaque fois. Ces évaluations sont complètement confidentielles, nous sommes les seuls à les récupérer. On fait évaluer la technique, l’audio, la vidéo, et l’expérience médicale. C’est-à-dire, pour le patient, est-ce que le fait de passer par un service de télémédecine lui a permis de répondre à sa question, et pour le praticien, est-ce que le fait de travailler en télémédecine lui a permis de travailler dans de bonnes conditions. C’est une note sur 5. Sur la technique on est à 4,5/5 et sur l’expérience médicale à 4,8/5. On ne se contente pas de ça, mais c’est un indicateur. Cela permet de voir le niveau de satisfaction des patients et des médecins. En France, on a pris beaucoup de retard sur la télémédecine, ce qui fait qu’il y a très peu d’usage. Nous avons deux impératifs aujourd’hui pour le développement du service, c’est l’usage et la qualité. C’est ce qui nous permettra de faire la preuve que ce n’est pas une médecine low-cost, comme on peut l’entendre parfois.
Quels sont les types d’appels ? Plutôt du conseil ? De la consultation ? Il y a les deux. On fait du conseil, de la consultation simple et même des consultations plus compliquées qu’on n’a pas forcément vocation à régler complètement en consultation. On peut au moins expliquer un certain nombre de choses aux patients, leur conseiller d’aller voir un praticien ou leur confirmer un diagnostic. Le niveau d’éducation médicale des patients a tendance à augmenter, de même que sur la thérapeutique. Les gens ont souvent une bonne idée de ce qu’ils ont et de ce qu’il faut prendre. Sauf qu’ils ne le font pas spontanément parce qu’ils veulent une validation médicale. On a aussi un peu de conseil, de prévention par exemple en nutrition, sport, tabacologie… On a aussi des demandes plus compliquées, où on va orienter le patient vers le bon spécialiste ou les inciter à revoir des praticiens qu’ils ont déjà vus. On a une logique très déontologique. On n’est pas du tout dans de la captation de patients. L’optique, c’est vraiment d’être intégrés dans le parcours de soins et c’est ce qui fera que le service sera adopté par les praticiens qui l’utiliseront au quotidien.
Quel a été votre rôle en tant que médecin généraliste et urgentiste dans le lancement de Qare ? Les considérations médicales. On est 5 associés avec des profils très différents et complémentaires. Les considérations médicales peuvent être sur le recrutement, sur la formation, sur tout ce qui est l’acculturation de toute l’équipe qui n’a pas forcément de profil soignant. Qu’est-ce-que c’est que la déontologie, le secret médical, quelles sont les contraintes vis-à-vis de l’Ordre, des patients, des praticiens, comment fonctionne un médecin généraliste, un spécialiste… C’est important que tout le monde soit au diapason de toutes ces particularités. Il y a aussi des considérations médicales au niveau institutionnel, avec le Conseil de l’Ordre, avec les syndicats de médecins…
Vous n’exercez donc plus ? J’avais déjà un exercice mixte. Je suis praticien hospitalier avec une activité libérale associée. J’ai suspendu mon activité libérale, et je suis aussi en disponibilité de l’hôpital. Pour le moment, je me consacre à Qare. Je poursuis l’activité clinique sur un mode remplacement, il y a de nombreuses demandes et c’est ce qui me permet de garder un pied dans la réalité.
Vous répondrez aux appels ? Oui, je le fais déjà au moins une fois par semaine.