Implosion du système de santé : lettre d’un médecin libéral au Pr. Grimaldi

Par  Alain Richard Publié le 05/01/2017   FIGAROVOX/LETTRE

 – Avec en ligne de mire le projet de François Fillon, le Pr. André Grimaldi est à l’origine d’une pétition pour sanctuariser la Sécurité sociale. Mais pour le Dr. Alain Richard, c’est surtout la médecine de ville, maltraitée depuis 2012, qui doit être le pilier de notre système de soins.

Diabétologue, le Dr. Alain Richard est médecin libéral.

Cher Professeur,

Vous êtes diabétologue à la retraite, je suis en activité, vous êtes hospitalo-centriste, je suis médecin libéral en secteur 2 (secteur horribilis pour nos gouvernants mais où 70 % de mes paiements le sont par tiers payant directement par les caisses), vous êtes conseiller santé auprès du président François Hollande et je ne suis que cheville ouvrière dans notre système de santé.

Vous voulez sauver la sécurité sociale qui n’est menacée que par notre système de santé dans un état critique.

Vous ne voulez pas de médecine à 2 vitesses alors que les inégalités sociales de santé se sont encore accrues dans les 5 dernières années. Elles débutent dès les études de médecine où 50 % des admis en fin de 1ère année sont des enfants de parents exerçant en professions libérales. Je suis fier de ma fille qui vient d’être admise en internat de gynéco-obstétrique mais je suis certain que sa prépa privée en 1ère année et en 6ème n’est pas pour rien dans ce résultat. Et oui l’argent facilite la vie et la réussite.

La médecine de ville a été maltraitée par notre ministre Mme Marisol Touraine mais cette médecine de proximité doit redevenir le pilier de notre système de soins.

La France fait partie des pays où les inégalités de recours aux soins sont les plus fortes. C’est-à-dire que si vous êtes dans un rayon de 30 minutes d’un centre hospitalo-universitaire CHU vos chances de survie en cas de gros pépins sont optimales, elles décroissent si ce rayon dépend d’un centre hospitalier CH général. Pour les populations au-delà de 30 minutes, soyez forts mais vos chances s’amenuisent. Si par malchance vous arrivez dans un service d’urgences engorgé par 80 % de bobologie et que l’urgentiste de garde est étranger (50 % des postes hospitaliers aux urgences sont assurés par des médecins étrangers. Ils assurent également 30 % des soins dans les services de médecine) avec quelques difficultés de compréhension et bien il va falloir tenir et encore tenir. Toujours en vie après la salle de déchocage, il faudra vous trouver un lit d’hospitalisation… 12 heures plus tard, vous êtes admis en pneumologie pour une poussée d’insuffisance cardiaque. Ce service en a assez de recevoir de la cardiologie et comme dans tous les services hospitaliers de France, 30 % du personnel est en burn-out et vous êtes mal reçu. Votre séjour durera 10 jours car le cardiologue n’est passé que le 3ème jour et personne ne vous avait dit après des années de traitement, que de l’arrêter (1/3 des patients atteints de maladies chroniques sont inobservants de leur traitement) pouvait amener à de graves complications. La reprise du traitement hypotenseur permet votre rétablissement mais si vous parlez de prévention cher Professeur, le patient quittera l’hôpital sans voir de diététicien pour lui expliquer le régime pauvre en sel, seul gage d’une durabilité de l’efficacité de son traitement et un moindre risque de faire un 2ème séjour.

En 10 ans j’ai vu 3 de mes anciens collègues se suicider (le nombre de suicides de médecins est 3 fois plus élevé que celui de la population générale. Les premiers sont nos pauvres agriculteurs).

Non, cher Professeur, ce n’est pas 20 % d’hospitalisation inutile mais 80 % en diabétologie. La médecine de ville a été maltraitée par notre ministre Mme Marisol Touraine mais cette médecine de proximité doit redevenir le pilier de notre système de soins. Les coûts en seront réduits et la qualité des soins améliorée.

Que peut-on espérer d’un service hospitalier public en épuisement et dans le gouffre financier? J’ai quitté l’hôpital depuis 11 ans car la fusion de l’hôpital d’Évian d’avec Thonon, pour la création des hôpitaux du Léman a vu la fermeture du site évianais en 2008. Le service de diabétologie avait été classé 48ème de France. Il fonctionne désormais avec une collègue, praticienne contractuelle non spécialiste en diabétologie. En 2016 et malgré la poursuite des restructurations hospitalières silencieuses tueuses d’hommes, l’hôpital de Thonon, pour un bassin de population de 100.000 habitants est toujours en déficit de 9 millions d’euros et il faudrait 71 millions d’euros pour la mise aux normes (officiellement le déficit des hôpitaux est de 500 millions d’euros mais nous devrions apprendre dans 2 à 3 ans qu’il était de plusieurs milliards d’euros pour 2016). Alors la tuerie va continuer. En 10 ans j’ai vu 3 de mes anciens collègues se suicider (le nombre de suicides de médecins est 3 fois plus élevé que celui de la population générale. Les premiers sont nos pauvres agriculteurs victimes de la PAC). Par l’indifférence totale des agences régionales de santé, ARS et avec une timide réaction de l’ordre des médecins, je constate que le phénomène commence à toucher l’Ile-de-France (les restructurations hospitalières ont débuté après celles de province) et le seul cas rapporté par nos journaux est celui d’un cardiologue au Centre Georges Pompidou, fleuron hospitalier national.

Vous préférez disserter sur le bien (l’hôpital) et le mal (les laboratoires pharmaceutiques) façon hollywodienne.

Vous ne pétitionnez bien sûr pas sur ce massacre silencieux et vous préférez disserter sur le bien (l’hôpital) et le mal (les laboratoires pharmaceutiques) façon hollywoodienne. Ou vous pensez tout simplement que plus de soixante médecins qui se suicident chaque année n’est pas la résultante managériale de la santé et que les 200 millions d’euros pour 2017, alloués par notre ministre de tutelle, pour «soigner les soignants» suffiront à relever ce défi majeur. Et puis nos journaux s’intéressent aux suicides à France Télécom (35 suicides au total), il faut leur laisser ronger leur os dans leur coin.

L’hôpital est devenu un plateau médico-technique au détriment de l’humain et il est devenu dangereux pour nos patients chroniques.

Pendant ce temps, je travaille 52 heures par semaine, vois 5000 patients et assure 7000 consultations par année. Je suis aidé par une infirmière diplômée en éducation thérapeutique, que je salarie 2000 euros nets par mois et qui m’aide à la mise sous insuline en ambulatoire, en stylos ou sous pompe (habituellement une mise sous pompe en hôpital de semaine soit 5 jours coûtent 6000 euros, avec notre approche, moins de 500 euros. Nous sommes joignables 24 h sur 24 et depuis 11 ans les appels pour problème technique sont rares, moins de 5 par mois ). Elle assure la prévention des pieds chez les diabétiques à risques et les soins de plaies si elles sont déjà présentes. Je mets à disposition à titre gratuit, à une diététicienne libérale, un bureau en face du mien, pour donner les conseils alimentaires aux patients car l’alimentation est notre premier des médicaments anti-diabétiques. Et pourtant l’acte diététique n’est toujours pas pris en charge par la sécurité sociale que vous défendez tant mais par des mutuelles. Que dire également de votre activisme auprès de nos gouvernants pour la prévention du diabète ou de l’obésité qui passe également par l’activité physique? Et bien rien car silence radio. L’équipe ambulatoire est complétée d’un cardiologue qui explore les artères bien fragiles de nos patients. Âgé de 67 ans, la médecine libérale ne l’a pas encore épuisé et il n’envisage pas de prendre sa retraite dans les 3 ans. Nos seules demandes d’hospitalisation le sont directement en cardiologie interventionnelle à Lyon, à 200 km, pour des gestes de revascularisation.

Le 21ème siècle verra se développer les alternatives à l’hospitalisation.

Oui l’hôpital doit être délesté de toutes les maladies chroniques, diabète, hypertension, insuffisance cardiaque, asthme, bronchite chronique… pathologies du vieillissement telles que les démences car l’hôpital est devenu un plateau médico-technique au détriment de l’humain et il est devenu dangereux pour nos patients chroniques. L’humain est déterminant dans la prise en charge de cette chronicité. Le transfert de connaissances et de savoir-faire pour la gestion de leur maladie est l’enjeu majeur de leur prise en charge: c’est l’éducation thérapeutique du patient. Il faut transférer des infirmières de l’hôpital aux maisons médicales, qui à partir de 3 médecins assureront la permanence des soins. Le burn-out des soignants est en partie dû à la charge de travail mais surtout aux restructurations silencieuses faites par des administratifs qui ne se préoccupent pas de l’avis du personnel et qui sont en décalage entre les valeurs de l’individu qui soigne et celles de l’hôpital médico-technique. En ambulatoire l’infirmière va de nouveau exprimer ses compétences et réinvestir son rôle de soignant au contact du patient et faire ce que le médecin n’a pas le temps de faire: éduquer.

Remettre la médecine de ville de proximité au centre du dispositif de soins en transférant des secrétaires médicales payées comme avant, par l’hôpital mais libérant les médecins traitants du temps administratif c’est-à-dire de la paperasserie chronophage, permettra un réel développement de ses maisons médicales et un maillage très rapide du territoire.

Le 21ème siècle verra se développer les alternatives à l’hospitalisation. La médecine policière des agences régionales de santé, devra tenir compte de l’avis des soignants dans la poursuite inéluctable de leurs restructurations sinon ce sera l’implosion. Notre ministre à «l’économie de la santé» devra faire un diagnostic bien plus sérieux de la situation si elle ne veut pas être éclaboussée par l’hécatombe de médecins, qui sont bien plus nombreux que les hémophiles de son illustre prédécesseur.

Oui, sauvons notre système de santé et la sécu, cette vieille dame, survivra. Oui, sauvons notre système de santé qui devient de plus en plus inégalitaire, non par des joutes oratoires pré-électorales mais par le changement dans nos pratiques médicales.

Bien confraternellement.

Dr. Alain Richard

 

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