« Il y a un usage politique de la contamination »

Plusieurs personnalités publiques – membres du Gouvernement, députés et sénateurs – ont été testées positives au Covid-19. Et elles l’ont fait savoir. Pourquoi une telle exposition de la vie privée ? Faut-il y voir derrière une stratégie politique ? Le point avec Frédéric Pierru, sociologue et politiste de la santé.

Egora.fr : Des personnalités publiques ont déclaré publiquement avoir été testées positives au Covid-19. Pourquoi ce geste ?  

Frédéric Pierru : La réponse politique est de dire que c’est pour une question de représentativité. Les personnes publiques, notamment politiques, souhaitent montrer qu’elles sont des êtres humains comme nous, des personnes aussi vulnérables que nous. Dans une société où la vie devient un bien suprême, être au front, être en danger épidémique de contracter une maladie comme ses concitoyens, et le dire, est une façon de régénérer le lien de représentation.
Mais il faut analyser ces comportements sur fond de remise en cause voire même de crise de la représentativité. Donc stratégiquement, c’est une façon de rappeler que certes, ces personnes sont « différentes », mais aussi comme nous. De cette manière, elles cherchent à combler le fossé qui s’est creusé, depuis deux ans, voire plus, entre les représentants et les représentés. Il y a un usage politique de la contamination.

En termes de politique publique, c’est aussi une façon de montrer qu’elles sont vigilantes. Elles font une démonstration de courage. Alors que la crise hospitalière a creusé un fossé entre les soignants et les gouvernants, les personnalités politiques disent de cette manière « Nous sommes au front comme les soignants ». Il s’agit d’un principe d’identité, au cœur de la représentation.

Toutes les crises de santé publique sont des crises de l’ordre politique, de la relation entre gouvernants et gouvernés. Et dans l’histoire, il y a deux options : soit les gouvernants vont se réfugier ailleurs, mais aujourd’hui, ce n’est pas possible. Soit, ils sont aux côtés des citoyens, voire devant eux, pour les protéger de la pandémie.

Dévoiler ainsi sa situation médicale, est-ce que cela a une conséquence sur le secret médical ?

Il y a aucun secret médical pour les personnes en charge de responsabilités administratives et politiques dans le cas des maladies à déclaration obligatoire, notamment lors d’une pandémie.

Ils ont été nombreux à affirmer « aller bien » tout en étant asymptomatiques. C’est là tout simplement une manière de rassurer ?

Je ne le crois pas. Au contraire, il faut l’interpréter inversement. Je pense qu’elles veulent montrer que l’ennemi est invisible et qu’on peut le porter, malgré nous. Elles légitiment donc de cette manière les mesures d’exception, de confinement, prises dans l’intérêt de tous en rappelant que l’on peut être porteur asymptomatique et ne pas souffrir mais contaminer ses proches. Toute la politique d’Emmanuel Macron basée sur l’individu qui s’émancipe par rapport à la société est en train de prendre une autre forme. Son discours prend le contrepied en rappelant que nous sommes des membres intégrés d’un collectif familial, professionnel, etc.

Chaque individu doit donc être responsable car il peut faire des dommages. Aujourd’hui, on ne peut pas être en bonne santé au milieu de personnes qui ne le sont pas. On redécouvre que nous sommes des individus parce que quelque part, nous sommes les parties prenantes d’une chaîne d’interdépendance qui nous dépasse.

Cette communication de son état de santé, est-ce une obligation du fait de leur identité publique ?  

Bien sûr. Lorsqu’on occupe une position politique, on occupe un rôle politique. Des attentes y sont rattachées. Les personnalités publiques ne sont pas libres de dire ce qu’elles veulent. Il y a donc une forme de mise en scène de leur vulnérabilité dans leur rapport à leur représentativité.

Une pandémie peut être une opportunité politique pour les gouvernants de recréer du lien avec les gouvernés, notamment lorsqu’on est un gouvernant face à un ennemi invisible. Mettre en scène politiquement le fait qu’on puisse être touché, comme n’importe qui, permet de réaffirmer ce lien.

Le ministère de la Santé a informé que sans symptôme, aucun test ne serait pratiqué. Pourtant, des personnalités publiques ont annoncé avoir été testées sans avoir de symptômes. Comment l’expliquer ?

Je n’ai que peu de doute sur le fait que tous les membres du Gouvernement aient été testés. L’accès au test lui-même remet en cause le principe de représentation. Il y a un fond structurel de défiance par rapport au représentant censé bénéficier de privilèges et, dans le cas présent, de privilèges sanitaires.

Il faut donc gérer une contradiction entre être testé quand on est un représentant public, et le fait que les Français n’aient pas accès aux tests. Cette exceptionnalité du représentant créé une tension. Mais on est dans un jeu de dupe car tout le monde sait que les personnalités publiques sont soumises à un régime d’exception. C’est nécessaire, car il faut assurer la pérennité du pouvoir et du Gouvernement en ce temps de crise.

Par Laure Martin le 27-03-2020 in Egora.fr

3 Commentaires

  1. Relu avec grand intérêt. Merci.

  2. Interessant, merci

  3. OK

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