Tests : les trois erreurs du gouvernement

Catherine Hill est épidémiologiste. Elle a travaillé à l’Inserm, à Harvard ainsi qu’à l’Institut Gustave-Roussy de Villejuif. Elle a également fait partie du conseil scientifique de l’Agence du médicament, où elle fut l’un des rares soutiens du docteur Irène Frachon, qui venait de révéler l’affaire du Mediator. Ses travaux ont notamment porté sur les causes et l’évaluation des dépistages du cancer. Elle a également réalisé les premières études chiffrant la mortalité liée au Mediator.

Le Point : Alors que la France se déconfine, de nouveaux foyers de contamination au Covid-19 sont réapparus, notamment en France et en Corée du Sud. Faut-il s’en inquiéter ?

Catherine Hill : Oui, la situation en France reste préoccupante. En Corée du Sud, le virus ne circulait pratiquement plus. En France…

sa propagation a été ralentie grâce au confinement, mais il n’a jamais cessé de circuler. Les situations sont donc très différentes. En Corée du Sud, on a observé un total de 260 décès du Covid-19 à la date du 14 mai pour une population de 51 millions d’habitants, et le nombre de personnes contaminées n’augmente que très lentement depuis plusieurs semaines ; globalement, l’épidémie y est donc contrôlée. La population sud-coréenne a été très largement testée : nous savons qu’à la date du 20 avril, pour 100 tests réalisés, deux seulement étaient positifs. Au contraire, en France, l’épidémie n’est pas vraiment contrôlée : le confinement a arrêté l’emballement exponentiel qui faisait doubler le nombre de cas et le nombre de morts tous les trois jours, mais le virus continue de circuler. À la même date du 20 avril, il y avait 33 tests positifs en France pour 100 tests réalisés. C’est le signe que nous réservions nos tests aux cas les plus probables, et cette stratégie prévaut encore en partie aujourd’hui. La population française n’a pas été largement testée, et on a observé plus de 27 000 décès pour une population de 67 millions d’habitants. Là où en Corée, on peut parler de reprise, en France, c’est la continuité.

La stratégie retenue par Olivier Véran est de ne tester que les cas présentant déjà des symptômes, sur prescription médicale, puis les personnes avec lesquelles ils ont été en contact dans les 48 heures précédant ces symptômes. Selon lui, un dépistage plus large n’aurait « aucun sens au niveau médical et scientifique. » Vous n’êtes pas de cet avis…

Cette stratégie est insuffisante pour contrôler l’épidémie, au moins pour trois raisons. La première, c’est la fréquence des porteurs asymptomatiques, ces gens qui diffusent le virus sans que personne n’en ait conscience. Des chercheurs du Scripps Research Institute ont compilé les études permettant d’estimer la fréquence du portage asymptomatique dans des populations testées plus ou moins systématiquement. Une des études les plus informatives, car elle porte sur 1 046 personnes positives, est celle des marins du porte-avions Charles de Gaulle : dans cette étude, 48 % des personnes testées étaient asymptomatiques. Une autre étude informative est celle de la population du Diamond Princess qui comptait 46 % d’asymptomatiques sur 712 positifs. L’ensemble des données rassemblées par les chercheurs du Scripps Institute donne une estimation globale du portage asymptomatique de 52 %, fondée sur l’observation de près de 3 000 cas positifs. En clair : la moitié des personnes infectées par le Covid-19 ne le savent pas, et ne le sauront jamais puisqu’elles ne développeront pas de symptômes.

Or (et c’est la deuxième raison qui montre l’insuffisance de cette stratégie), plusieurs études (comme Ferretti et al. Science-2020, ou Cheng Jama Internal Medicine May 2020, NDLR) estiment que la moitié des contaminations proviennent d’un contact direct avec une personne asymptomatique.

La troisième raison, enfin, c’est que l’essentiel des contaminations se fait dans les 5 jours précédant l’apparition des symptômes et dans les 5 jours après les premiers symptômes. Limiter la recherche aux contacts des 48 heures précédant l’apparition des symptômes ignore donc une partie des contacts potentiellement contaminés.

Bref, il faut faire ce que recommande l’OMS depuis le 16 mars : « Testez, testez, testez… »

Évidemment. Il faut tester massivement la population. Mais pour cela il faut changer de stratégie, car on ne peut évidemment pas réaliser 67 millions de tests par semaine. Une solution, utilisée dans d’autres pays, est de faire des tests groupés : on prélève des échantillons, par exemple, chez 20 personnes, on divise chaque prélèvement en deux, et ensuite on rassemble les prélèvements n° 1 de chaque personne dans un seul tube et c’est dans ce tube que l’on recherche le virus. Si le résultat est négatif, chacune des 20 personnes est présumée négative ; si le résultat est positif, on peut tester un par un les échantillons n° 2. Si le virus n’est pas très fréquent, ce système réduit considérablement le nombre de tests nécessaires, et le coût des opérations. On peut jouer sur la taille des groupes et sur des procédures beaucoup plus sophistiquées pour optimiser ces tests groupés.

Une autre solution, qui a le mérite de la simplicité, est de rechercher le virus dans les eaux usées : si on ne trouve pas de virus dans les égouts à la sortie d’une petite ville, c’est probablement qu’aucun habitant n’est positif. A contrario, si le virus est retrouvé dans les égouts, on peut faire un prélèvement en amont dans le circuit des eaux usées pour trouver les habitants à tester en priorité.

Nous vivons notre premier week-end de « déconfinement ». Êtes-vous inquiète ?

La situation actuelle est toujours critique. Le 15 mai, il y avait encore 2 162 personnes en réanimation pour Covid-19, et enajoutant le nombre de 3 219 personnes en réanimation pour une autre cause observé le 30 avril, on arrive à près de 5 400 personnes en réanimation. Les petits foyers épidémiques signalés ces derniers jours ne sont que le signal de la circulation du virus, circulation plus visible qu’auparavant dans la mesure où les cas symptomatiques et leurs contacts sont testés un peu plus systématiquement.

Une récente étude de l’Institut Pasteur montre qu’au 11 mai, 4,4 % de la population française, soit 2,8 millions d’individus, avait été infectée par le nouveau coronavirus. Que nous apprend cette étude ?

Ce sont des estimations obtenues à partir des données disponibles, en utilisant un modèle classique. La première information que l’on peut en tirer, c’est qu’il reste plus de 64 millions de personnes à risque d’attraper le Covid-19, ce qui n’est pas vraiment une bonne nouvelle. La seconde information est que 0,7 % des personnes infectées meurent, car 3,6 % des personnes infectées sont hospitalisées et 18,1 % des hospitalisés meurent. La mortalité est donc inférieure à 1 %, ce qui n’est pas une trop mauvaise nouvelle.

Peu d’études ont été conduites, en France, pour évaluer la progression de l’épidémie. Est-ce un tort ? Qu’est-ce qui aurait pu être fait ?

Nous ne disposons d’aucune estimation de la prévalence du virus dans la population, ni globalement ni par région. Il aurait fallu tester des échantillons représentatifs de la population par RT-PCR à intervalles réguliers pour avoir une idée de la propagation du virus. À défaut d’échantillons représentatifs, on aurait pu tester, par exemple, toutes les femmes venant d’accoucher. Il y en a 2 000 par jour, ce n’est pas un mauvais échantillon. Aujourd’hui, alors que la population se remet à circuler, qui peut dire quelle est la proportion des personnes contagieuses dans le métro parisien, en Bretagne, en Nouvelle-Aquitaine ?

Est-il encore temps de redresser la barre ? Avec quelles mesures, par exemple ?

Il faut tester massivement, et c’est une grave erreur d’avoir interdit aux entreprises de proposer des tests à leur personnel via la médecine du travail. Quand la situation sera redevenue normale, on ne manquera pas de s’interroger sur la stratégie qui a conduit à confiner la majeure partie de la population en laissant le virus circuler au-dehors au lieu de rechercher activement les personnes portant le virus et leurs contacts afin de les isoler.

Par Géraldine Woessner Modifié le 16/05/2020 à 17:45 – Publié le 16/05/2020 à 14:30 | Le Point.fr

4 Commentaires

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  1. Je pense qu’il n’y a qu’une erreur fondamentale, l’absence de fermeture des frontières de la France pour une question d’idéologie !
    Si on exclue l’irresponsabilité des chinois, la faute revient en premier à l’OMS qui a minimisé l’épidémie chinoise débutante et qui n’a pas donné d’alerte mondiale
    Heureusement, les vietnamiens, forts de leur expérience du SRAS, ont pris les devants dès le début du mois de janvier et ont fermé leurs frontières terrestres, maritimes et aérienne aux voyageurs venant de Chine et les mettant en quarantaine dès leur arrivée sur le sol vietnamien et ont fermé les écoles
    Résultat des courses, 330 malades hospitalisés depuis 5 mois dont 0 morts et leur économie a continué de tourner à tel point que c’est le Vietnam qui nous envoie des tonnes de masques par avion maintenant !
    N’oublions pas que le soleil se lève à l’Est !!!

  2. Nombreux pays d’Asie sont peu touchés, mais fermeture précoce des frontières, port du masque et tests généralisés

  3. D’accord avec Bebel, l’OMS n’a pas rempli son rôle initial en donnant l’alerte mondiale! mais demande depuis deux mois déjà de tester tester tester…. la France reste tristement en retard…

  4. L’OMS étant en réunion cette semaine nous aurons des éclairages sur ses erreurs. Tester plus en France est nécessaire avec les nouveaux clusters. Je trouve intéressant l’idée de tester des échantillons de populations en dehors de ceux-ci pour mieux comprendre comment le virus a déjà circulé dans les Régions métropolitaines. Et il est sûr que le Vietnam fournit beaucoup de masques en ce moment, grand public comme chirurgicaux :merci au dynamisme des travailleurs de ce pays cher à mon coeur.

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