Les propos de notre ancienne ministre ne vous paraissent ils pas indécents quand on les rapproche de ceux de familles des soignants qui rapportent la lutte menée par leurs proches contre l’épidémie au prix de leur vie?

L’ancienne ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a mis le feu aux poudres en estimant qu’il ne fallait pas « tout attendre du seigneur du château ».

LA QUESTION. L’ancienne ministre a mis le feu aux poudres. Auditionnée jeudi par la commission d’enquête parlementaire sur la gestion de crise du Covid, Roselyne Bachelot a reproché aux médecins généralistes de ne pas avoir leur propre stock de masques et de ne pas assumer leurs responsabilités. «On attend que le préfet ou le directeur de l’ARS vienne avec une petite charrette porter des masques ? Mais qu’est-ce que c’est que ce pays infantilisé ? Il faut quand même un peu se prendre en main, c’est ça la leçon qu’il faut tirer. Tant qu’on attendra tout du seigneur du château, on est mal.»

Est-il vrai que les médecins n’avaient pas de stock de masques ? Sont-ils tenus légalement d’en avoir suffisamment pour faire face à une pandémie ?

VÉRIFIONS. Les propos de Roselyne Bachelot soulèvent une question brûlante : en situation de pandémie, les médecins libéraux doivent-ils se débrouiller seuls ou bien l’État a-t-il le devoir de leur fournir des équipements de protection ? «Nous avons réalisé une mission de service public, dans ce sens, il est important que l’État protège les soignants, qu’ils soient du service public ou privé», estime le Dr Jérôme Marty, président du syndicat de l’Union française pour une médecine libre (UFML).

Ce n’est pas inscrit dans le marbre mais, d’après Fabrice Di Vizio, avocat spécialiste des questions de santé, il s’agit d’un principe constitutionnel. «Il existe des textes qui délèguent la protection aux employeurs, parmi lesquels figure l’hôpital public, mais aucun ne concerne les travailleurs indépendants et en particulier les médecins libéraux», explique-t-il. «Donc par défaut, puisque constitutionnellement, l’État a une mission régalienne de protection de la santé, laquelle passe par la distribution de masques de protection, c’est à lui de le faire. C’est pour cela que Roselyne Bachelot a tort.»

En clair, puisque l’État n’a pas attribué expressément cette responsabilité, c’est à lui qu’elle incombe. Ce qu’a confirmé l’ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand, auditionné jeudi, tout en refusant d’endosser la responsabilité de la pénurie de masque : «J’estime que les professionnels de santé libéraux doivent être protégés par l’État (…) C’est dans les fonctions régaliennes de protéger ceux qui nous soignent.»

Les médecins libéraux n’ont par ailleurs aucune obligation d’avoir un stock minimal d’équipements de protection. Mais il n’est pas déraisonnable de penser qu’une majorité de médecins était tout de même équipée. «Les masques, les gants et les solutions hydroalcooliques, cela fait partie de nos outils de travail», rappelle le Dr Matthieu Calafiore, médecin généraliste et maître de conférences à la faculté de médecine de Lille, qui reconnaît toutefois que peu de médecins avaient jusque-là l’habitude de porter le masque. «Je pense qu’à nous tous, nous avions un stock plus important que l’État au début de la pandémie», lance le médecin, en référence à l’absence de renouvellement du stock stratégique par les autorités.

Malgré une réserve confortable, certains cabinets ont rapidement vu fondre leur stock. Logiquement, les professionnels de santé cherchent à passer commande. Mais début mars, face au risque de pénurie l’État décide de réquisitionner l’ensemble des stocks et productions de masques chirurgicaux et FFP2 en France, dans l’objectif de les répartir au mieux. Cette mesure, entérinée par un décret du 3 mars, a pris fin le 31 mai. Les masques arrivent au compte-gouttes. Dans un communiqué publié le 1er juillet, l’UFML a répondu à Roselyne Bachelot que «les médecins libéraux étaient équipés de masques et de blouses en nombre suffisant pour faire face aux épidémies habituelles. Mais lorsque la pandémie a éclaté, ces moyens de protection ont été réquisitionnés par l’État. Il était alors impossible pour les médecins de se fournir auprès des pharmacies ou de leurs fournisseurs habituels.»

«Chaque professionnel de santé recevait 12 masques chirurgicaux par semaine et 6 FFP2, quand il y en avait. Et il fallait en donner à tous les patients potentiellement infectés», rapporte le médecin.. Pourquoi ne pas s’être ravitaillé via internet, comme l’a fait une partie de la population ? «Nous l’avons fait ! Mais rien ne nous garantissait que les masques commandés en Chine étaient de bonne qualité», répond le Dr Calafiore. Pour être efficaces, les masques doivent en effet répondre à plusieurs exigences (efficacité de filtration bactérienne, propreté microbienne, pression différentielle…), certifiées par le marquage CE.

«Certains médecins estimaient que c’était à l’État de tout fournir, mais la plupart d’entre nous ont cherché à commander des masques, sauf que nos fournisseurs ne pouvaient pas nous en vendre. C’est un peu facile de nous traiter d’assistés tout en nous empêchant de nous fournir en matériel !», s’exclame le Dr Calafiore. Rappelons que la profession a payé un lourd tribut au Covid-19 : au moins 26 médecins généralistes libéraux sont décédés de l’infection.

1 Commentaire

  1. Propos certes indécents; je dirais même honteux pour nous généralistes….

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