Article à lire en entier, extrait de Marianne et proposé par Françoise Coux pour la qualité du contenu.
La réforme des retraites prévoit la disparition des régimes complémentaires existants au profit du système universel. Dans la période de transition, ils passeront sous le contrôle de l’Etat, qui pourra leur dicter des objectifs budgétaires d’année en année.
Une disparition programmée.
La réforme des retraites du gouvernement prévoit de détacher les assurés nés après 1975 des régimes complémentaires. Dès 2025, ils cotiseront seulement dans la caisse universelle, et leurs droits acquis jusque-là seront convertis pour être intégrés à leur future pension. Seuls les travailleurs nés avant 1975 dépendront encore des complémentaires et continueront à y acquérir des droits. Au moment de leur décès (à l’horizon 2060 en prenant compte de l’espérance de vie actuelle), ces régimes additionnels s’éteindront avec eux. Entre-temps, les régimes complémentaires dépendront de la caisse universelle pour continuer à assurer leurs obligations, et seront placés sous le contrôle budgétaire de l’Etat. Mais beaucoup d’éléments manquent encore pour savoir comment se passera la transition, dont le flou est dénoncé par les syndicalistes proches du dossier.
Les assurés qui resteront attachés aux complémentaires ne représentant que 30% des actifs, le nombre de cotisants de ces régimes chutera brutalement en 2025, et avec eux leurs recettes. Mais pas leurs dépenses : ils continueront à régler les pensions des retraités actuels, puis des salariés nés avant 1975 après la fin de leur carrière. « Notre régime est équilibré avec des projections sur 40 ans. Toute notre gestion sera chamboulée par la réforme », critique Olivier Petit, en charge du dossier des retraites à la Fédération des Médecins de France.
Afin que les complémentaires puissent continuent à verser les pensions, la chute de leurs revenus doit être comblée par des dotations de la caisse universelle. Ces transferts seront calculés « en fonction de la trajectoire qui aurait prévalu (…) en l’absence de modification du périmètre d’affiliation » des assurés, indique le projet de loi. Autrement dit, le montant versé prendra en compte les cotisations qu’auraient reçues les complémentaires si les travailleurs nés après 1975 étaient restés dans leur giron. Mais le texte ne garantit pas que les pertes seront intégralement compensées : il précise que « les modalités de calcul de ces dotations sont précisées par voie réglementaire », c’est-à-dire par le gouvernement. L’exécutif se ménage ainsi la possibilité de décider d’un niveau inférieur à celui dont auraient besoin les régimes pour régler toutes leurs dépenses, et de le modifier sans contrôle du Parlement. « Nous n’avons aucune garantie sur ce que va verser la caisse universelle aux complémentaires, même pas orale », dénonce Olivier Petit.
Les complémentaires pourraient notamment avoir à régler la facture de l’exclusion des salaires au-dessus de 120.000 euros par an du futur système. À partir de 2025, les travailleurs n’acquerront plus de droits sur leurs revenus au-dessus de ce montant. Leurs cotisations seront réduites en conséquence : ils paieront 2,81% au-dessus de ce plafond, contre 28,12% en-dessous. Rien de neuf pour le régime général, qui prélève déjà un taux réduit à ce niveau de revenu. Mais ce n’est pas le cas de certaines caisses complémentaires : celle des salariés du privé, l’Agirc-Arrco, ponctionne par exemple la paie de ses assurés à hauteur de 25% pour la part comprise entre 40.000 et 320.000 euros par an. La réduction des cotisations au-dessus de 120.000 euros représente un gros manque à gagner pour ce régime : une étude interne le chiffre à 3,7 milliards d’euros par an en moyenne jusqu’en 2040, dans l’hypothèse où la baisse s’appliquerait dès 2025. « De l’autre côté, il faudra continuer à payer sur plusieurs générations les retraites constituées à ce niveau dans le passé. Leur charge s’étendra jusqu’à nos arrière-petits-enfants », grince Alain Drieu, représentant de la CGT au sein de l’Agirc-Arrco.
« De l’autre côté, il faudra continuer à payer sur plusieurs générations les retraites constituées à ce niveau dans le passé. Leur charge s’étendra jusqu’à nos arrière-petits-enfants », grince Alain Drieu,
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Ce trou financier sera-t-il comblé par la caisse universelle ? Le passage du projet de loi sur les futures dotations ne permet pas de le dire : s’il prévoit qu’elles seront fixées en prenant en compte la modification de l’affiliation des assurés, il ne parle pas de la réduction de leur assiette de cotisation. Si ce n’est pas le cas, le déficit pourrait être comblé en vidant les réserves des caisses complémentaires, qui doivent demeurer leur propriété et ne pas être absorbées par le système universel. Un scénario « scandaleux » qu’anticipe déjà Alain Drieu : « L’Etat ne compensera pas et notre trésorerie servira à payer la mise en place du nouveau système. Les réserves des salariés modestes seront mobilisées pour payer les retraites des stars du show-biz et des footballeurs », dénonce le syndicaliste CGT.
« Contrôle total de l’Etat »
En plus de cette mise sous perfusion, la réforme prévoit une prise de contrôle de l’Etat sur les complémentaires. Le projet de loi organique étend en effet le domaine des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) à ces régimes. Ces textes, élaborés par le gouvernement puis adoptés par le Parlement tous les ans, prévoient les conditions d’équilibre du système de retraite de base, et notamment ses objectifs de dépenses et de recettes pour l’année à venir. Dès 2022, des dispositions spécifiques seront adoptées pour chaque régime complémentaire, avec des contraintes financières dictées au cas par cas.
Et le projet de loi donne au gouvernement le moyen de les faire respecter. Le ministre en charge des retraites pourra bloquer les décisions des régimes complémentaires en se basant sur les objectifs définis par la LFSS. « Toute décision des instances de gouvernance des régimes » complémentaires « ayant un impact sur le montant des prestations ou des cotisations est transmise au ministre (…), qui peut s’opposer à son application », indique le texte. Cette possibilité existait déjà pour certains régimes, dont celui des fonctionnaires. En revanche, elle représente une révolution pour la complémentaire des salariés du secteur privé (75% des actifs), l’Agirc-Arrco, dont l’administration est indépendante. « Le dernier lieu de la gestion paritaire entre syndicats et patronat passe sous le contrôle total de l’Etat. C’est un tournant historique dans le système social français », analyse Michaël Zemmour, économiste à l’Université Paris 1. « Le gouvernement nous enlève notre pouvoir de négociation. Demain, l’Etat sera seul décideur », critique le syndicaliste CGT Alain Drieu.
Le gouvernement pourra notamment s’appuyer sur la LFSS pour contraindre les complémentaires à faire des économies. Par exemple en rognant sur les pensions : « Si on décide de bonifier la pension des nouveaux retraités, le ministre pourra dire non », anticipe Pierre Pluquin, qui siège au conseil d’administration de l’Agirc-Arrco pour la CGT. Restreindre le budget des complémentaires permettrait au gouvernement de baisser dans le même temps les dotations versées par la caisse universelle, qui pourront être modifiées par voie réglementaire. Et donc d’intégrer ces régimes dans une contrainte budgétaire globale. « L’objectif de la réforme étant de faire des économies, on peut s’attendre à ce qu’elles s’opèrent en partie sur les complémentaires », craint Jean-Christophe Lansac, qui siège pour Force ouvrière au conseil d’administration de la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), la complémentaire des fonctionnaires.
Pot commun
Une autre disposition du projet de loi changera la donne pour les régimes complémentaires. À partir de 2025, tous les travailleurs paieront leurs cotisations auprès de la caisse universelle. Y compris ceux nés avant 1975, qui resteront affiliés à l’ancien système. Une portion de leurs prélèvements sera ensuite reversée à leur complémentaire, auprès de laquelle ils continueront à acquérir des droits. Ce montant sera lui aussi fixé par le gouvernement après l’adoption de la loi, cette fois par ordonnance. Le texte établira cette part « en tenant compte de la proportion que représentaient » les cotisations versées aux complémentaires avant 2025 par rapport au « total des cotisations retraite » des assurés. Sans être très claire, la formulation suggère qu’un travailleur qui verse aujourd’hui 10% de ses cotisations à sa complémentaire s’acquittera de la même part après la réforme.
Cette évolution empêchera les régimes complémentaires de fixer leur propre niveau de prélèvement, les privant d’un levier de gouvernance. Le projet de loi prévoit en effet que les contributions totales des assurés s’alignent à terme sur le futur taux à 28,12%. L’impact de cette évolution sera variable selon les professions : les médecins verront par exemple augmenter leurs cotisations, qui sont de 18% aujourd’hui jusqu’à 40.000 euros de revenus. À l’inverse, les ponctions sur les cheminots baisseront, puisqu’elles s’élèvent à 45% à l’heure actuelle. Cette diminution s’opérant sur la part payée par leur employeur, les salariés de la SNCF ne devraient cependant pas en voir la couleur.
Les différents taux de prélèvement convergeront dans des conditions fixées par ordonnance et sur une période qui ne pourra excéder vingt ans. La transition étant pilotée par l’Etat, les complémentaires ne pourront plus faire varier ce paramètre, et donc leurs recettes. « On ne pourra plus toucher aux niveaux de cotisation dès 2025 », souligne Olivier Petit. Il ne leur restera que deux variables d’ajustement en cas de déficit : rogner sur les pensions ou puiser dans leurs réserves.
Flou sur les fonctionnaires
L’alignement des cotisations pose un problème supplémentaire pour la complémentaire des fonctionnaires. Les agents de l’Etat cotisent aujourd’hui seulement sur leurs primes auprès de la Retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), à hauteur de 10% et dans la limite de 20% de leur traitement de base. Demain, ils payeront 28,12% sur l’ensemble de leurs revenus, y compris leur bonus. Dans l’exemple d’un fonctionnaire rémunéré 2.500 euros par mois dont 550 euros de prime, il verse aujourd’hui 50 euros à sa complémentaire. Après la réforme, la ponction sur son bonus sera de… 150 euros par mois.
Cette hausse se traduira-t-elle par des droits en plus ? Pour cela, il faudrait transférer à la RAFP une proportion des cotisations supérieure à celle que lui versent les fonctionnaires actuellement, alors que le projet de loi suggère qu’elle restera la même. Et aussi modifier les règles de ce régime, en enlevant la limite des 20% : « Ce n’est pas possible légalement de faire payer plus sans accorder davantage de droits. Donc soit on déplafonne la cotisation à la RAFP, soit on la supprime », résume Gilles Oberrieder, spécialiste de la retraite de la fonction publique à la CGT.
« Le projet de loi est un chèque en blanc »
Une autre difficulté réside dans la très grande variabilité des primes perçues par les fonctionnaires. Ces bonus dépendent du corps de métier aussi bien que de la situation personnelle des agents de l’Etat. En conséquence, la proportion que représentent les versements à la RAFP dans le total des cotisations est tout aussi changeante. De quoi compliquer sérieusement le calcul de la part des prélèvements à transférer à la caisse complémentaire : « Il faudrait établir pour chaque fonctionnaire combien la caisse universelle devra reverser à la RAFP », conclut le syndicaliste FO Jean-Christophe Lansac.
Cotisations des fonctionnaires, futurs transferts, période de transition… Autant de paramètres cruciaux qui seront fixés par le gouvernement après le vote de la loi. En attendant, les partenaires sociaux sont dans le flou : « Le projet de loi est un chèque en blanc. Le gouvernement nous dit : ‘faites-nous confiance, on va régler ultérieurement tous les problèmes qui vont se poser' », dénonce Jean-Christophe Lansac (FO). Ce problème ne se limite pas à la question des complémentaires. Dans son avis publié le 24 janvier, le Conseil d’Etat critique lui aussi un large recours du gouvernement aux ordonnances, y compris sur des « éléments structurants » du futur système de retraite. Ces modalités font « perdre la visibilité d’ensemble qui est nécessaire à l’appréciation des conséquences de la réforme », pointe l’institution. Les assurés pourraient devoir attendre un an après l’adoption de la loi, date limite de la publication des ordonnances, avant d’y voir plus clair.
Par Sébastien Grob
Coiffeur
• Publié le 29/01/2020 à 19:02 In Marianne
5 Commentaires
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Ne pas prendre les réserves des régimes bénéficiaires mais les utiliser pour éviter de combler le trou ça revient au même. Scandaleux!?
On est ds un régime communiste …, et encore une fois ceux qui ont travaillé sont pénalisés !Est ce que la retraite des députés sénateurs et autres est également comprise ds le réforme actuelle
petite question ; nos reserves a la carmf se sont des placements immobiliers, on nous l’ avait expliquer a BLOIS, comment peuvent ils s’ approprier l immobilier ?? est ce legal ???
Je me suis forcé à lire (avec difficulté) jusqu’au bout ce texte des syndicalistes FO et CGT qui ont l’air de bien connaître tous les détails de la réforme mais c’est toujours aussi flou pour moi (comme pour tout le monde je pense), mais ce qui est net, c’est qu’on veut nous voler notre trésor de guerre (plutôt de labeur) et le redistribuer aux autres (fonctionnaires compris) pour combler les trous créés par les (trop) jeunes retraités de la fonction publique et en particulier la RATP et SNCF !!!
Mon regret est de n’avoir pas pu me créer une vrai retraite par capitalisation à cause du montant trop élevé de notre (petite) retraite par répartition !!!
Qu’ils aillent tous se faire foutre !