Chef de clinique de Charcot, Babinski (1857-1932) décrivit magistralement la sémiologie neurologique (dont le fameux signe) dans le but de différencier atteintes lésionnelles et manifestations hystériques. Il fut aussi le grand initiateur de la neurochirurgie française.
Neurologue français d’origine polonaise,
médecin des hôpitaux de Paris, chef de service à La Pitié de 1895 à sa retraite en 1922, Joseph Babinski n’a pas été professeur à la faculté de médecine, car après son échec à l’agrégation de 1892 il ne s’est jamais représenté.
Pendant son internat, il se consacre à l’anatomie pathologique générale ainsi qu’à l’histologie, au Collège de France. De cette première période datent sa description des faisceaux neuromusculaires et sa thèse anatomo-clinique sur la sclérose en plaques. Lorsque Babinski devient le chef de clinique du professeur Charcot, premier titulaire de la chaire de clinique des maladies du système nerveux à La Salpêtrière, il abandonne définitivement l’anatomie pathologique. et son projet devient purement clinique : trouver des signes neurologiques objectifs susceptibles de faire la part de l’organique (lésionnel) et du fonctionnel (hystérique). Ce sera l’axe de toute son œuvre sémiologique. Au-delà du sémiologiste, Babinski est aussi un passionné de thérapeutique, qui s’emploiera notamment à promouvoir la chirurgie des tumeurs du système nerveux.
L’ŒUVRE SÉMIOLOGIQUE
Babinski insiste sur l’importance des signes objectifs, indépendants de la volonté du malade, et sur les causes d’erreur qui entachent la crédibilité des signes subjectifs, susceptibles de faire l’objet de simulation consciente ou inconsciente ou de suggestion involontaire, notamment par le médecin.
Les réflexes, cutanés, ostéo-tendineux et pupillaires
Les réflexes cutanés étaient connus avant que Babinski ne découvre, en 1896, le « phénomène des orteils », futur signe de Babinski. L’originalité de la découverte de Babinski est qu’il donne à l’inversion du réflexe cutané plantaire la signification d’une lésion organique du système nerveux central, et, plus précisément d’une atteinte du faisceau pyramidal. Quelques années plus tard, Babinski décrit le signe de l’abduction des orteils, qu’il considère comme un complément du signe précédent. Babinski s’intéresse aussi aux réflexes ostéo-tendineux. Il détaille les meilleures techniques de recherche ; il recommande l’usage du marteau à réflexes plutôt que du bord cubital de la main ; il analyse les abolitions, diminutions et exagérations des réflexes. Il attire l’attention sur l’affaiblissement ou l’abolition du réflexe achilléen dans la sciatique. Il montre que la trépidation épileptoïde ou clonus, du pied ou de la rotule, est une manifestation de l’exagération des réflexes ostéo-tendineux. Il affirme sa certitude que jamais l’hystérie ne modifie les réflexes tendineux. En cas de doute, il préconise de rechercher les réflexes sous anesthésie générale. Babinski défend l’origine syphilitique du tabès et note que le réflexe achilléen est affaibli dans cette affection. Il consacre de nombreux travaux aux réflexes pupillaires et au signe d’Argyll Robertson. Pour lui, l’abolition du réflexe pupillaire à la lumière est un signe quasi pathognomonique de syphilis, surtout quand s’y associe une lymphocytose du liquide céphalo-rachidien. Dans les cas, difficiles à interpréter, de pseudo-abolition du réflexe pupillaire à la lumière, il préconise de rechercher le signe d’Argyll Robertson en chambre noire.
La sémiologie cérébelleuse et vestibulaire
Avant Babinski, la sémiologie cérébelleuse se limitait à l’ataxie cérébelleuse de Duchenne de Boulogne, avec les oscillations à la station debout et la marche titubante qui la caractérisent. Au cours des premières années du XXe siècle, Babinski décrit une série de signes et de manœuvres qui demeurent aujourd’hui encore à la base de la sémiologie du cervelet. L’asynergie est un défaut de coordination entre les divers groupes musculaires agonistes et antagonistes qui entrent en jeu dans tout mouvement. Il décrit de nombreuses manœuvres qui permettent de mettre cette perturbation en évidence, notamment, chez le malade couché sur le dos, la flexion combinée de la cuisse et du tronc. L’adiadococinésie est l’impossibilité d’exécuter une succession rapide de mouvements élémentaires (« faire les marionnettes »). L’hypermétrie (terme qu’il préfère à celui de dysmétrie), mouvement mal dirigé et mal arrêté, est recherchée par l’épreuve du doigt sur le nez et celle du talon sur le genou. Il insiste sur la nécessité que les mouvements soient exécutés avec rapidité et sur l’absence d’aggravation des troubles par l’occlusion des yeux (contrairement à ce qui s’observe dans le tabès). La catalepsie cérébelleuse sera rapidement abandonnée. L’hypotonie, dont on sait aujourd’hui qu’elle est si importante dans la physiopathologie et le diagnostic des syndromes cérébelleux, n’a pas été pointée par Babinski. Babinski s’attache à distinguer la sémiologie cérébelleuse de la sémiologie vestibulaire. Il attribue à des lésions vestibulaires la latéropulsion, l’écartement des jambes, la titubation ébrieuse, les vertiges ou le nystagmus. L’épreuve de Babinski-Weill, ou « marche aveugle », vise à mettre cliniquement en évidence une atteinte vestibulaire. Il se passionne pour le vertige voltaïque et y consacre de nombreuses publications. Provoqué par l’application des électrodes d’un appareil voltaïque sur les tempes d’un sujet, le vertige voltaïque se manifeste par une sensation de vertige, des nausées, un nystagmus et une inclinaison de la tête du côté du pôle positif à la fermeture du courant. Babinski démontre que les lésions de l’appareil auditif modifient le vertige voltaïque et en conclut que cette épreuve est intéressante pour diagnostiquer une atteinte de l’appareil vestibulaire, et « écarter l’hypothèse de simulation ».
Autres signes et syndromes portant le nom de Babinski
Mentionnons le signe du peaucier (abolition ou diminution de la contraction du peaucier du cou du côté paralysé dans une hémiplégie organique ou en cas de paralysie faciale périphérique), ainsi que l’élévation paradoxale du sourcil (par contraction du muscle frontal) lors de la fermeture de l’œil (par contraction de l’orbiculaire des paupières) en cas d’hémispasme de la face. Notons aussi les syndromes de Babinski-Fröhlich (syndrome adiposo-génital dû à une tumeur supra – sellaire), Babinski-Vaquez (anévrisme de l’aorte et troubles pupillaires), Babinski-Nageotte (dû à des lésions unilatérales du bulbe), Babinski-Froment (troubles trophiques et vasomoteurs, amyotrophie, exagération des réflexes tendineux, contractures musculaires), Anton-Babinski (anosognosie, ou méconnaissance d’une hémiplégie gauche).
L’HYSTÉRIE, LE PITHIATISME ET LES TROUBLES PHYSIOPATHIQUES
En 1901, huit ans après la mort de Charcot, Babinski formule le concept de pithiatisme destiné à remplacer celui d’hystérie. Babinski définit le pithiatisme comme un trouble créé par la suggestion et guérissable par la persuasion. Les paralysies et les contractures hystériques ne s’accompagnent pas de modification des réflexes cutanés ou ostéo-tendineux ni de troubles vasomoteurs ou trophiques. Ainsi, pour lui va être établie une frontière complète entre organicité et hystérie, même si des discussions passionnées se poursuivent à la Société de neurologie pendant une dizaine d’années. La pathologie de guerre va amener Babinski, en collaboration avec Froment, à individualiser des troubles physiopathiques, qui, bien que ressemblant à des troubles hystériques ou à de la simulation, s’accompagnent de signes permettant de les ranger dans le cadre des atteintes organiques du système nerveux et résistent à la persuasion.
UN INTÉRÊT MARQUÉ POUR LA THÉRAPEUTIQUE
Contrairement à la plupart des neurologues de son époque, Babinski manifeste un intérêt marqué pour la thérapeutique. Il préconise un traitement mercuriel intensif et prolongé dans les syphilis nerveuses, et la scopolamine dans la chorée de Sydenham et les états parkinsoniens. Il recommande les ponctions lombaires thérapeutiques dans diverses indications. Il affectionne les électrisations (torpillage) pour démasquer les simulateurs et les hystériques. Il est le premier à employer la radiothérapie, à des fins antalgiques, dans diverses affections du rachis. Il vante les mérites de la station thermale de Dax. Il prescrit la section de la branche externe du spinal dans le torticolis spasmodique. Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses ambitions thérapeutiques, il préside à la naissance de la neurochirurgie française.
NAISSANCE DE LA NEUROCHIRURGIE FRANÇAISE
Malgré les travaux pionniers d’Antony Chipault, la neurochirurgie française avait un retard considérable par rapport à la Grande-Bretagne et aux États-Unis, où les premières interventions d’exérèse de tumeurs intrarachidiennes et crâniennes dataient des années 1880. Trente ans plus tard, Babinski fut l’un des premiers neurologues français à adresser des malades à des chirurgiens, d’abord pour de simples craniectomies décompressives, puis plus tard pour des interventions d’exérèse. Babinski était capable de localiser précisément le niveau d’une compression de la moelle par un examen clinique rigoureux : la topographie de l’anesthésie permet de situer le niveau supérieur de la compression, et sa limite inférieure peut être fixée par la hauteur à laquelle s’élève le territoire des réflexes de défense. Le problème de la localisation était infiniment plus complexe pour les tumeurs cérébrales.
En associant à son élève Clovis Vincent, médecin neurologue, un de ses amis chirurgien, Thierry de Martel, Babinski allait réaliser, au sortir de la Première Guerre mondiale, son souhait de créer une véritable équipe neurologique et chirurgicale, entièrement dédiée au traitement des tumeurs du système nerveux. Après plusieurs années de collaboration entre les deux hommes, la rupture se produisit, et Clovis Vincent, le médecin, se mit à opérer lui-même, seul. Le couronnement de l’entreprise de Babinski fut, un an après sa mort, la création à La Pitié d’un service de neurochirurgie pour Clovis Vincent, service transformé quelques années plus tard en la première chaire de clinique neurochirurgicale. Il prit d’ailleurs pleinement conscience de l’influence fondamentale qu’il avait eue dans la création de cette discipline. Quelques semaines avant sa mort, à son ami Darier qui lui demandait ce qu’il pensait devoir rester de lui et qui suggérait « le signe bien sûr », Babinski répondit : « La chose la plus importante dans ma vie, c’est d’avoir montré la voie à de Martel et à Clovis Vincent. »
par Jacques Philippon*, Jacques Poirier
RÉFÉRENCES
- Philippon J, Poirier J, with the collaboration of Derouesné C and Ricou P. Joseph Babinski, a biography. New York, Oxford University Press éd., 2009.
- Poirier J. L’autre Babinski. Neurologies 2008;11:219-25.
- Poirier J. Joseph Babinski, une personnalité complexe. Bull Acad Natle Med 2007;191:1343-54 (séance du 30 octobre 2007).
- Babinski J. Œuvre scientifique : recueil des principaux travaux, publié par les soins de Barré JA, Chaillous J, Charpentier A, et al. Paris, Masson et Cie éd., 1934.
- Poirier J. Babinski histologist and anatomo-pathologist. Rom J Morphol Embryol 2008;49:263-9.
- Philippon J. L’œuvre de Babinski. Bull Acad Natle Med 2007;191:1319-27 (séance du 23 octobre 2007).
- Derouesné C. Pithiatism versus hysteria. In : Philippon J, Poirier J, with the collaboration of Derouesné C and Ricou P. Joseph Babinski. A biography. New York, Oxford University Press ed., 2009.
- Allilaire JF. Babinski et l’hystérie. Bull Acad Nat Med 2007;191:1329-41 (séance du 23 octobre 2007).
- Philippon J. The development of neurological surgery at the Salpêtrière Hospital. Neurosurgery 1996;38:1016-22
5 Commentaires
Passer au formulaire de commentaire
Très intéressant même pour un gyneco
J apprends des choses…
ça nous rajeunit pas, nous qui avons passé beaucoup de temps dans nos gardes à rechercher ce fameux babinsky !!
Et je le cherche toujours ce babinski
Article instructif et rapide à lire
Bravo
Rappel clinique et historique intéressant me rappelant l’internat mais je préfère partir à Val Thorens pour rechercher le signe de Bebelski !