Dans les pharmacies françaises, des centaines de médicaments manquent pendant parfois plusieurs semaines. (MAXPPP)
Le gouvernement doit présenter en septembre un plan pour mieux gérer les ruptures d’approvisionnement en médicaments. Un problème de santé publique qui préoccupe patients et professionnels.
Depuis une dizaine d’années, les pénuries de médicaments sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues. Une vingtaine de médecins et professeurs hospitaliers ont sonné l’alarme en publiant une tribune dans Le JDD, mi-août, pointant la responsabilité des laboratoires dans la gestion des stocks. Les fabricants ont rétorqué, lundi 19 août, qu’il n’y avait pas de « solution unique et simpliste ». Et l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) assure lutter contre les acteurs du secteur qui ne respectent pas les règles.
En attendant la présentation du plan du gouvernement en septembre, franceinfo vous explique d’où vient cette pénurie de médicaments, ses conséquences et les pistes envisagées pour y remédier.
Qu’est-ce qu’une « pénurie de médicaments » ?
L’ordre des pharmaciens parle de « ruptures d’approvisionnement » plutôt que de pénurie. Il estime qu’il y a une rupture chaque fois qu’une officine ou une pharmacie d’un établissement de santé ne peut plus s’approvisionner en un médicament, quel qu’il soit, « pendant 72 heures ». Il n’est pas nécessaire que le médicament manque sur tout le territoire pour qu’il soit considéré comme en rupture. Sont comptabilisés ceux qui manquent dans au moins 5% des pharmacies connectées au système de signalement baptisé DP-Ruptures.
De son côté, l’ANSM répertorie les ruptures de stock des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM). Il s’agit de ceux pour lesquels une interruption de traitement pourrait « mettre en jeu le pronostic vital des patients à court ou moyen terme », ou représenter une « perte de chance importante au regard du potentiel évolutif de la maladie », ou encore ceux pour lesquels il n’existe « pas d’alternatives thérapeutiques appropriées et disponibles en quantité suffisante ».
Beaucoup de médicaments sont-ils concernés ?
Les ruptures d’approvisionnement ont explosé ces dernières années. Dans son rapport d’activité de 2014 (fichier PDF), l’ANSM recensait 44 cas de rupture gérés par ses services en 2008, 173 en 2012. Les chiffres ont ensuite bondi pour atteindre 438 ruptures en 2014. En 2017, l’Agence en dénombrait 538. C’est donc déjà 12 fois plus qu’en 2008. Contactée par franceinfo, l’ANSM rappelle que « le nombre de signalements reste relativement limité au regard du nombre important de spécialités commercialisées » en France.
L’augmentation des ruptures de stock de MITM n’est pas un phénomène limité au territoire national. Elle s’exprime à l’identique à l’échelle européenne et internationale.Ans à franceinfo
De son côté, l’ordre des pharmaciens affiche le nombre de ruptures signalées chaque mois par les pharmacies, tous médicaments confondus. En juillet 2019, plus de 800 références ont été signalées comme manquantes, selon les données de l’ordre. Et les ruptures peuvent courir sur plusieurs semaines : la moitié des médicaments ont manqué pendant plus de 60 jours.
Concrètement, « un Français sur quatre a déjà été confronté à une pénurie de médicaments », selon un sondage BVA pour France Assos Santé, publié en janvier. L’organisation, qui représente les usagers du système de santé, détaille : « 25% des répondants se sont en effet déjà vu refuser la délivrance d’un médicament ou d’un vaccin pour cause de pénurie ». Ce chiffre monte à 31% pour les personnes atteintes d’une affection de longue durée.
De quels médicaments parle-t-on ?
Dans leur tribune au JDD, médecins et professeurs hospitaliers affirment que les pénuries concernent « des médicaments du cancer, des antibiotiques, des corticoïdes, des vaccins, des traitements de l’hypertension, des maladies cardiaques, du système nerveux ». Les anti-infectieux (comme les vaccins), les médicaments du système nerveux (antiépileptiques, antiparkinsoniens) et les anticancéreux (chimiothérapies) sont les trois classes les plus touchées. Elles constituaient plus de la moitié des ruptures en 2018, selon Les entreprises du médicament (Leem), la fédération des industriels du secteur.
« En raison de la complexité de leur processus de fabrication, les spécialités injectables apparaissent comme les plus vulnérables au risque de pénurie », précisait encore le sénateur du Nord Jean-Pierre Decool, dans un rapport sur le sujet publié en septembre 2018.
Si vous voulez connaître tous les produits qui manquent dans les pharmacies, la liste actualisée des MITM en rupture ou en tension est accessible sur le site de l’ANSM. Vous pouvez aussi vous renseigner dans la pharmacie que vous fréquentez habituellement, pour savoir si l’un de vos médicaments manque ou pourrait manquer, et éventuellement savoir quand l’officine sera réapprovisionnée.
La santé des patients est-elle en danger ?
Pour les médecins signataires de la tribune, « les malades sont les premières victimes ». Et d’après l’enquête d’opinion publiée par France Assos Santé, certaines ruptures ont des conséquences directes sur la santé des patients. Ainsi, 14% des sondés déclarent avoir vu leurs symptômes augmenter et une personne sur 20 a dû être hospitalisée. « Ces ruptures peuvent modifier les chances de guérison » des malades, estime le pharmacologue Alain Astier, interrogé par Le Monde.
Les vaccins étant particulièrement touchés, « ces pénuries constituent une menace potentielle pour la santé publique », observe Alain-Michel Ceretti, président de France Assos Santé. On sait en effet que plus la proportion de population vaccinée est importante, plus le vaccin est efficace pour tout le monde, même pour les personnes non vaccinées. En outre, la gestion des pénuries est chronophage et mobilise le personnel hospitalier au détriment d’autres tâches, souligne le sénateur Jean-Pierre Decool dans son rapport. Et dans les officines, les pharmaciens « regrettent de voir la gestion logistique prendre le pas sur leur fonction de conseil ».
Jean-Marie Semet, opéré après un cancer de la vessie, devait suivre des séances de chimiothérapie afin d’éviter une rechute. Au lieu des huit séances prévues, ce patient n’en a eu que cinq, à cause d’une pénurie de molécule. Quand le produit a de nouveau été disponible, il était trop tard pour reprendre le traitement, interrompu trop longtemps.
Est-ce la faute des fabricants ?
Tous les professionnels s’accordent à dire que les raisons sont multiples et concernent l’ensemble du circuit des médicaments. Et ce circuit est complexe. La chaîne de production est « complètement éclatée dans la plupart des cas. La recherche-développement se fait à un endroit, les différentes phases de production dans d’autres, comme on produirait une voiture », explique à l’AFP Nathalie Coutinet, économiste spécialiste du secteur de la santé. Tout cela, en traversant les frontières entre pays qui n’ont pas tous les mêmes normes, et en parcourant parfois la moitié du globe.
Hausse de la demande mondiale, incidents sur la chaîne de production, manque de matières premières, concentration de la production entre un nombre restreint d’acteurs, choix économiques…
Prenons quelques exemples pour comprendre ce qui peut entraîner des ruptures d’approvisionnement.
• Les corticoïdes. Depuis mai 2019, la prednisone et la prednisolone, des corticoïdes oraux utilisés par des centaines de milliers de Français, viennent à manquer. En cause, « un problème de fabrication du produit fini », explique Thomas Borel, directeur scientifique du Leem à la CSMF, syndicat de médecins généralistes. Il y a eu, selon lui, « un problème de capacité de production » en France et un « problème de qualité » en Grèce, sur la forme effervescente du médicament. Médecins et pharmaciens ont donc commencé à prescrire la forme orodispersible (à faire fondre sous la langue), qui s’est retrouvée à son tour « en tension ».
• Les vaccins BCG et anti hépatites pour adultes… Plusieurs vaccins courants manquent en ce moment, selon Infovac France, et tous n’ont pas de substitut. En cause, pour commencer, une fabrication longue (jusqu’à trois ans pour certains) et complexe. Une rupture de stock et d’approvisionnement s’inscrit donc, aussi, dans la durée. Ils sont en outre conçus à partir de virus, de bactéries ou de parasites, des matières premières vivantes dont le rendement n’est pas toujours prévisible. Les industriels sont également responsables : en produisant à flux tendu pour faire des économies sur le stockage, ils peuvent eux-mêmes créer des tensions d’approvisionnement.
S’ajoutent à cela les politiques de santé publique : de plus en plus de pays, comme la Chine ou l’Inde, organisent des campagnes de vaccination d’envergure. Et même au sein de l’Union européenne, cela peut être compliqué. « Pour les 28 pays membres de l’UE, il existe 23 calendriers vaccinaux différents pour les enfants », auxquels les laboratoires s’adaptent, explique Allodocteurs, mais « en cas de pénurie dans un pays, il est très difficile de rapatrier un lot destiné à un autre pays européen ».
• Les médicaments contre l’hypertension. Deux médicaments anti-hypertenseurs ont été touchés ces derniers mois par des pénuries. Après le valsartan, des lots d’irbésartan ont été rappelés, début 2019. Des impuretés potentiellement cancérogènes avaient été détectées dans le valsartan, dont le principe actif est fabriqué en Chine. Car l’industrie pharmaceutique a massivement recours à des sous-traitants en Asie, pour diminuer ses coûts. La Chine et l’Inde fournissent ainsi entre 60% et 80% de la production mondiale des principes actifs. Au point que pour de nombreuses molécules, « seulement deux ou trois fournisseurs » mondiaux existent aujourd’hui, relève le Leem.
Les laboratoires pharmaceutiques tendent aussi à spécialiser toujours plus leurs usines. Une conséquence de la concentration croissante du secteur, mais aussi « de l’augmentation du niveau technologique requis et des contraintes réglementaires », selon le Leem. Ainsi, tout aléa de production (accident, catastrophe naturelle ou simple panne matérielle) peut engendrer des ruptures d’approvisionnement, si aucun autre site ne peut prendre le relais.
Qu’en est-il des intermédiaires ?
Les incidents de production sont imprévisibles et la hausse de la demande pour un médicament n’est pas toujours facile à anticiper. Mais au cœur des problèmes de ruptures d’approvisionnement en médicaments, il y a aussi une logique financière. Et certains acteurs ne jouent pas le jeu. L’ANSM a notamment une catégorie d’intermédiaires dans son viseur : les « short-liners ». Ce sont des grossistes-répartiteurs (qui achètent les médicaments aux laboratoires, les stockent et les vendent aux pharmacies), qui se spécialisent dans les médicaments les plus rentables, par opposition aux « full-liners », qui traitent tous les médicaments.
Les grossistes-répartiteurs doivent respecter des obligations de service public : disposer d’une « collection » suffisante de médicaments et être capables de livrer les pharmacies françaises en 24 heures. Mais en France, les prix des médicaments sont relativement bas. Certains « short-liners » n’hésitent donc pas à déroger à leurs obligations en vendant les médicaments un peu plus cher à nos voisins. L’ANSM a ainsi sanctionné cinq de ces sociétés, en 2018, pour un montant total de 480 500 euros.
Que peut-on faire pour limiter les dégâts ?
Des règles existent. Les laboratoires pharmaceutiques ont par exemple l’obligation de mettre en place des plans de gestion des pénuries. Mais ces règles sont encore insuffisantes, puisque les ruptures d’approvisionnement se multiplient. Le gouvernement a donc dévoilé début juillet d’autres pistes. Une « feuille de route » provisoire, qui devrait aboutir à un plan présenté en septembre.
La ministre de la Santé, Agnès Buzyn, prévoit notamment de généraliser, en 2020, la plateforme DP-Ruptures, qui permet aux pharmaciens de signaler les ruptures d’approvisionnement. La feuille de route propose aussi de « sécuriser l’approvisionnement » des MITM à fort risque de pénurie, notamment les anticancéreux, en élaborant « une cartographie des sites de production » de matières premières et de médicaments et en améliorant les procédures d’achat hospitalier. Elle prône également davantage de « coopération européenne », en poursuivant « les discussions sur l’achat groupé notamment de vaccins essentiels », et un « partage d’information concernant les situations et les causes des pénuries ».
Les médecins signataires de la tribune publiée dans Le JDD souhaitent que soient imposées aux laboratoires pharmaceutiques titulaires de l’autorisation de mise sur le marché « la constitution et la gestion de stocks » de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Ils appellent également à ce que « soit rapatriée en Europe la production des principes actifs » et demandent la création d’un « établissement pharmaceutique à but non lucratif, si possible européen ».
De son côté, le Leem juge nécessaire de « s’interroger sur le juste prix » des médicaments, car les pénuries touchent souvent des spécialités peu rentables. La fédération propose aussi de définir un ensemble de « médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique » plus restreint que les MITM, pour lesquels des mesures de gestion de pénurie devraient être renforcées. Cette liste établie « au regard de critères précis » permettrait de se concentrer sur les traitements « les plus indispensables et irremplaçables ».
Et moi, je fais comment ?
J’achète mes médicaments sur internet ?
Mieux vaut éviter de chercher à acheter les médicaments manquants sur internet. Le risque de tomber sur des contrefaçons est trop grand. La première chose à faire est d’en parler à votre médecin prescripteur, afin d’anticiper vos besoins quand c’est possible. Il est aussi important de s’informer, auprès des pharmacies, afin de savoir si la rupture de stock est temporaire ou non. Si elle est temporaire et de courte durée, il est tout à fait possible qu’une autre officine dispose du médicament dont vous avez besoin.
Si votre traitement n’est plus disponible, ou pas avant un long moment, il est alors temps pour votre médecin et votre pharmacien de chercher un traitement alternatif, avec des produits de substitution.
Il est un peu trop long cet article, j’ai la flemme de tout lire. Vous me faites un résumé ?
Depuis une dizaine d’années, les ruptures d’approvisionnement se multiplient dans les pharmacies. Antiparkinsoniens, anticancéreux et vaccins sont les plus touchés. Les causes sont multiples : problèmes de fabrication, production et demande mondialisées, choix financiers des fabricants et des grossistes… Le gouvernement étudie des pistes pour mieux gérer ces ruptures, comme renforcer la coopération européenne. Mais empêcher ces pénuries reste pour le moment compliqué. Des médecins estiment qu’il faut obliger les fabricants à stocker une partie de leur production, plutôt que de produire en flux tendu.
Si vous êtes concerné par une pénurie de médicament, ne cherchez pas à l’acheter sur internet, adressez-vous à votre médecin ou à la pharmacie, pour vous renseigner et trouver, éventuellement, un traitement de substitution.
Par Camille Caldini – France Télévisions
Mis à jour le 26/08/2019 | 07:00 – publié le 26/08/2019 | 07:00
8 Commentaires
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Comme toujours ,tu nous fait une analyse approfondie ,vraiment intéressante
Merci
Guy
Très clair et complet
Merci Serge pour cette mise au point
comme dab parfait
Merci Serge car je comprends enfin pourquoi je suis ennuyé aussi bien au cabinet qu’à la clinique ou à l’hôpital par la disparition de la xylocaine-naphazolinée qui est un vasoconstricteur indispensable en cas d’épistaxis ou en chirurgie endo-nasale que j’ai remplacée temporairement par la xylo-adrénalinée beaucoup moins efficace sur le saignement; on ne trouve plus non plus d’acide chromique pour cautériser les épistaxis que j’ai remplacé par le nitrate d’argent; enfin, je manque comme tout le monde de Solupred très souvent prescrit en ORL;
Par contre, je n’ai aucun problème pour me procurer avec un grand choix de marques et de concentrations les seringues d’acide hyaluronique pour le traitement des rides qui est un acte non remboursé, très rentable mais « non vital » !
C’est le grand paradoxe des pays industrialisés qui deviennent dépendant des pays en voie de développement qui détiennent le monopole des matières premières et de la fabrication à bas coût (60 à 80 % des principes actifs en Inde et en Chine) !
Je me souviens de mes jeunes années où les labos nous invitaient à visiter leurs usines de fabrication en France et en Suisse !
Ils n’en ont pas parlé au G7 !!!
Donc on doit pouvoir faire quelques choses….mais le veut-on ?
Les divers intervenants ont toute facilité de se renvoyer la responsabilité, le parcours étant tellement complexe.
Merci Serge pour cet article
Je suis confrontée tous les jours à ce problème . Le hic c est que tous les jours les pharmaciens appellent au cabinet pour que je subsiste le médicament Ce qui est parfois impossible et ne veulent pas appeler d autres pharmacies pour voir si le produit est dans leur stock .pour rendre service au patient c est ma secrétaire qui appelle les pharmacies aux alentours pour se procurer le produit . Les pharmaciens n ont plus de patients ils ont des clients!
Mondialisation et profits ne vont pas avec le prix bas des médicaments en France…