Médicament de la mort ou passeport vers « l’ultime liberté » : rencontre avec les clandestins du pentobarbital

L’euthanasie est, contrairement à certains pays frontaliers, actuellement interdite en France, mais le e-commerce est devenu une solution de contournement de la loi pour ses défenseurs. Étonnamment le besoin de détenir des produits lethaux répond en premier lieu au besoin de savoir qu’on pourra y avoir recours si on le décide un jour, dans un délai indéterminé. Il ne s’agit donc pas comme je l’imaginais de nécessairement l’utiliser au moment où on se les procure. La lecture de cet article m’a amené à voir la revendication des pro-euthanasie sous un angle différent: si posséder des produits lethaux a un effet « anxiolytique » en permettant de se rassurer sur les modalités de sa fin de vie, (question qui nous taraude tous à un moment de notre parcours), la loi permettrait d’avoir le même effet, mais avec l’avantage de mettre en place un encadrement réfléchi évitant les derives, ce qui rappelle la démarche imaginée il y a presque 50 ans par les rédacteurs de la loi sur L’IVG pour éradiquer la morbidité et la mortalité des avortements clandestins.

À l’approche du jour des morts, je vous propose la lecture de cet article qui m’a permis d’envisager la loi non plus uniquement comme la possibilité de choisir sa fin de vie, mais aussi comme une solution pour vivre pleinement parce qu’apaisé, le temps qui nous reste.

Serge

Après la saisie 130 flacons de pentobarbital lors d’une opération de police ayant mobilisé plus de 300 officiers à travers toute la France le 15 octobre dernier, des utilisateurs témoignent de leurs choix d’acheter ce produit, en toute illégalité.

“Je ne veux pas finir à l’hôpital comme un légume. Ça me désole de ne plus avoir mes bouteilles », soupire Danielle, 71 ans. Elle fait partie des militants pro-euthanasie visés mi-octobre par une vaste saisie de pentobarbital, puissant barbiturique interdit en France mais utilisé pour l’aide au suicide. 

Le 15 octobre, plus de cent perquisitions sont menées à travers l’Hexagone par la gendarmerie. Elles aboutissent à la saisie de 130 flacons d’un produit suspecté d’être du pentobarbital. Déclencheur de l’enquête, ouverte fin juillet : la transmission par les autorités américaines d’une liste de Français destinataires de colis pouvant contenir cet anesthésiant, bien connu des partisans du suicide assisté. Lire: Un trafic de barbituriques démantelé en France

Danielle, qui vit en région parisienne, en a acheté clandestinement deux flacons sur internet « pour 650 euros », sept mois auparavant. Elle n’est pas malade mais veut pouvoir choisir sa mort en buvant le produit si elle le juge nécessaire : « C’est mon droit, mon corps »« J’ai vu des gens de ma famille partir d’un cancer. Je ne veux pas traîner comme un légume, embêter mes enfants », assure à l’AFP la septuagénaire, qui réclame l’anonymat. « Quand j’avais ces bouteilles, j’étais bien, je n’avais plus cette angoisse de la fin de vie. »

Comme d’autres particuliers visés par l’enquête, Danielle appartient à l’association Ultime Liberté, dont le siège, en Haute-Marne, a également été perquisitionné. L’association revendique 2.700 adhérents. « Ce sont des personnes au niveau socio-culturel souvent élevé, qui n’ont jamais subi leur vie et ne veulent pas se soumettre à qui que ce soit pour leur mort », affirme à l’AFP sa présidente, Claude Hury. 

Lui aussi adhérent, Christian Meriot, 85 ans, se définit comme « un libertaire, un libre-penseur ». Le 15 octobre, à 06h00 du matin, trois gendarmes sonnent à sa porte dans une petite commune du Médoc. « Quand ils m’ont dit qu’ils venaient perquisitionner, j’ai compris », raconte-t-il à l’AFP. Sa femme sort du frigo les deux flacons achetés en juillet, « pour 500 euros » versés par transfert d’argent international.

« Confort moral »   

Il a passé commande au Mexique, via une messagerie e-mail cryptée. Expédié depuis les Etats-Unis, « le colis se présentait comme contenant du parfum », pour passer la douane. Christian Meriot souffre du coeur, du foie et d’« un zona ophtalmique très douloureux »« Mais ce n’est pas ça qui me pousserait » à absorber du pentobarbital, souligne-t-il. « C’était un confort moral d’avoir ça sous la main », dit cet ancien professeur d’ethnologie. « Je vieillis, l’état moral du monde me désole. Quand j’en aurai envie, je veux que ce soit moi qui décide. »

Auteur de livres sur les Samis, peuple autochtone de Laponie, il se souvient d’une tradition selon laquelle un homme en fin de vie demandait qu’on l’attache à un traîneau tiré par un renne. Direction le précipice. Il cite aussi l’écrivain André Breton : « Le plus beau présent de la vie est la liberté qu’elle vous laisse d’en sortir à votre heure ». Christian Meriot et Danielle ont été entendus comme témoins, sans poursuites. Parmi les gens perquisitionnés, il y avait à la fois des personnes âgées avec des pathologies lourdes et d’autres qui n’étaient pas malades, selon les enquêteurs. L’histoire du pentobarbital (Nembutal de son nom commercial) est intimement liée à la mort.

Il est utilisé en Belgique et en Suisse, qui, contrairement à la France, ont respectivement légalisé l’euthanasie et le suicide assisté (c’est l’individu qui accomplit le geste mortel, et non un docteur). Aux Etats-Unis, le pentobarbital sert parfois aux injections des condamnés à mort. Début 2011, le laboratoire danois Lundbeck, qui en détenait l’exploitation, avait protesté contre cette utilisation puis vendu les droits à l’américain Akorn. En France, ce médicament autrefois utilisé comme anesthésiant est interdit pour l’homme depuis 1996. Seuls les vétérinaires peuvent en détenir, pour euthanasier les animaux. Un cas de suicide au pentobarbital avait marqué l’opinion en 2008 : celui de Chantal Sébire, quinquagénaire défigurée par une tumeur incurable.   

« C’est un barbiturique à action rapide et puissante, qui agit sur le système nerveux central », explique à l’AFP la Dr Christine Tournoud, du centre antipoison de Nancy.« Selon la dose, il provoque une somnolence, le coma et peut entraîner un arrêt respiratoire ». En 2014, dans une revue de toxicologie, elle avait relaté la tentative de suicide d’une femme avec du pentobarbital acheté sur internet. « Dans les congrès de toxicologie, de temps en temps, on voit surgir ce genre d’observations. Il y a aussi des suicides de vétérinaires, puisqu’ils ont le produit sous la main. Mais c’est très rare », poursuit-elle. Les moyens de se suicider ne manquent pas. Alors pourquoi le pentobarbital ? « Je pourrais prendre ma voiture et me foutre contre un mur, ou sauter d’un pont. Mais je préfère mourir dans la dignité, sans souffrir, avec des gens qui m’entourent », répond Christian Meriot.

Pour les associations, l’Etat est responsable

Principale association pro-euthanasie, l’ADMD(Association pour le droit de mourir dans la dignité) « déconseille » l’achat clandestin de pentobarbital. « Ça nous fait un peu peur », déclare son président, Jean-Luc Romero : « Il y a un trafic, des gens gagnent de l’argent, ces produits ne sont pas contrôlés. Et n’importe qui peut en demander : on ne se bat pas pour que quelqu’un qui a un chagrin d’amour puisse en avoir ». L’ADMD préfère « accompagner les gens en Belgique et en Suisse ».

Toutes les associations se rejoignent sur un point : pour elles l’Etat est responsable de la situation en interdisant l’euthanasie. Sujet de débats récurrents, celle-ci se heurte aux règles éthiques françaises. La loi Claeys-Leonetti de 2016 sur la fin de vie proscrit l’euthanasie et le suicide assisté mais autorise l’arrêt des traitements sur un malade en cas « d’obstination déraisonnable »« On ne marchandise pas l’humain » : Jean Leonetti très critique sur le rapport bioéthique

Dans deux avis récents, le Conseil d’Etat puis le Comité d’éthique ont jugé que la loi ne devait pas être modifiée, tout en demandant un meilleur accès aux soins palliatifs pour les malades en fin de vie. Ce que ne sont pas Danielle, Christian Meriot ni tous ceux qui achètent du pentobarbital préventivement.

Par Paul Ricard (AFP) le 26-10-2019

16 Commentaires

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  1. lu

    1. J ai vu une émission sur l euthanasie en suisse et Belgique, c était très intéressant et pratique avec humanité , rappelez vous du film canadien  » les invasions barbares , » regardez le,,super!,

  2. OK

  3. Ok

  4. Ok intéressant

  5. Intéressant

  6. En Suisse association Dignitas ,le suis renseignée
    Effectivement je ne sais pas si j’aurais le courage de passer à l’acte mais de savoir que j’en aurais les moyens est rassurant

  7. Sujet très complexe ; j’ai eu un patient qui s’était mis en rapport avec cette association sur sa fin de vie. L’option suisse (assoc dignitas) n’ratait pas réalisable pour lui.
    Pour info : « ultime liberté » dispose d’un site intéressant à consulter.

  8. Vaste débat

  9. Merci

  10. On peut très bien choisir sa fin de vie mais faut il passer par des vendeurs de mort.Pourquoi le pentobarbital? J’ amets le principe de l’ADMD mais il y a bien d’autres moyens (il y a pleins de bouquins malheureusement écrits là dessus).Rien à voir avec l’euthahasie légalisée.Chacun est libre de décider

  11. merci pour l’information

  12. Sujet O combien difficile car si d’un point de vue Éthique ou selon vos conceptions religieuses notre destinée est de laisse faire les choses sans intervenir; cela me pose un problème car ce n’est pas tenir compte de notre liberté de conscience ni de notre volonté profonde.
    Ma déchéance physique ne sera pas objet d »exposition familiale ou amicale et si je suis encore capable ou que j’ai laissé des volontés personnelles, ça sera direction la suisse ou ailleurs pour un départ décidé et apaisé

  13. Il faudrai avancer sur ce sujet en France
    Cet acte est géré humainement et avec sérénité en Belgique et Suisse

  14. Je partage ton avis sur le fait que si la loi nous garantissait la possibilité de détenir avant la survenue d’une maladie grave un médicament pour partir en douceur et d’autoriser son usage dans des conditions prédéfinies et encadrées, cela nous aiderait non seulement à aborder la mort mais surtout cela nous permettrait de vieillir plus sereinement. Car en réalité ce qui fait peur n’est pas la mort mais la souffrance ou la déchéance. Savoir qu’on peut choisir de continuer ou d’arrêter serait la reconnaissance du droit à la dignité.

  15. Lu

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